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Daniel CROZES


Un été d’herbes sèches



En 1970, le narrateur, un garçon de quinze ans, passe les vacances d’été chez son oncle dans un hameau de l’Aveyron, à une dizaine de kilomètres de la petite ville où il vit. Il y découvre une manière de vivre et de travailler « à l’ancienne », sans eau courante ni machines agricoles. Cette culture d’avant la mécanisation est un thème fort du roman mais pas le seul. L’adolescent est très intéressé par tout ce qui concerne les deux guerres mondiales qui ont touché sa famille, celle de 39-45 notamment parce que son père et son oncle y ont participé et que les trois familles du hameau l’ont traversée avec des attitudes bien différentes.

L’oncle Kléber et la tante Marie habitent une ferme sur le rebord d’un plateau dominant une vallée où ils élèvent des lapins, des volailles, des cochons et quatre vaches pour le lait et pour les veaux mais aussi pour tirer la faucheuse et la charrette. La taille réduite de l’exploitation –quatre hectares de prairies, deux hectares de terres cultivées et trois hectares de bois – ne permet pas  l’achat d’un tracteur, d’autant plus que certaines parcelles sont si pentues qu’elles doivent être fauchées à la main. A cette époque, « les paysans étaient condamnés à s’agrandir sans cesse et à se moderniser, à investir et à produire de plus en plus, ou à "plier", c’est-à-dire disparaître. »
Le confort de la maison est très sommaire avec une cuisinière à bois mais aucun appareil électroménager, pas même un frigo. « Pas de robinet au dessus de l’évier mais un seau de fer-blanc sur la large pierre. Mon oncle le remplissait à trois ou quatre reprises pendant la journée en fonction des besoins, puisant dans le puits de la cour. »  L’électricité n’alimente qu’une ampoule de 60 watts dans chaque pièce.
Côté chambre, ce n’est pas le luxe non plus. « La chambre que j’allais occuper empestait le vieux, la naphtaline et, surtout, le cochon car elle se trouvait au-dessus des logettes. En m’agenouillant sur le parquet, je pouvais en plein jour apercevoir l’échine des cochons à travers les lattes disjointes. »

C’est un grand changement pour l’adolescent habitué à plus de confort et le nez toujours plongé dans les livres en dehors des heures de lycée. Il va passer là des vacances exténuantes physiquement mais passionnantes par les conversations avec son oncle alors son père est toujours resté silencieux sur ses années de guerre. « Incorporé à l’automne 1937, mon père n’était libérable qu’en septembre 1939 seulement. Car le parlement avait doublé la période de service militaire devant les menaces qui s’accumulaient depuis l’accession d’Hitler au pouvoir. La déclaration de guerre avait empêché mon père de remettre son matériel au fourrier de la caserne en septembre 1939 pur retrouver l’Aveyron ; il avait conservé son uniforme et son fusil, et avait été mobilisé avec les troupes d’active. Mon père n’était retourné dans sa famille qu’en juillet 1945. Huit années s’étaient alors écoulées depuis son départ de la caserne. Une éternité ! » L’oncle, plus âgé, n’avait fait qu’un an de service militaire en 1927-1928 mais la guerre l’avait rappelé et il avait connu les camps de prisonniers et les stalags, comme le père du narrateur, comme les amis qu’il rencontre le dimanche au village après la messe et comme un autre personnage, Augustin Duchamp, qui va venir passer un moment à la ferme et dont la conversation sera très précieuse pour l’adolescent en quête d’informations.

Le stalag n’a pas été le sort de tout le monde et notamment pas des deux autres familles du hameau qui se haïssent entre elles autant qu’elles haïssent Kléber. Le marché noir, la collaboration, la légion des volontaires français contre le bolchévisme, la Wehrmacht, le régime de Vichy, la milice, la dénonciation des jeunes qui refusaient le travail obligatoire en Allemagne ou qui prenaient le maquis... L’adolescent va apprendre beaucoup de choses sur le comportement de ces deux familles et la façon dont la Résistance les a mises sous surveillance après la guerre où bien des comptes ont alors été réglés.

Le rapport à la religion est aussi une surprise pour le jeune garçon pas habitué, chez lui, à une telle  ferveur  confinant à la superstition. Il découvre aussi comment le mariage de Kléber et Marie, comme celui de ses parents, ont été arrangés grâce à un entremetteur tant les occasions de rencontres étaient rares, surtout quand le père ne veut pas doter sa fille pour ne pas entamer l’héritage qui doit revenir au fils.

Le roman montre aussi le contexte de l’époque, les voitures des années 70, le Tour de France où régnait Merckx, les désaccords au sujet de la minijupe...

Cette plongée dans l’agriculture manuelle au moment de sa disparition et dans les souvenirs de la guerre dévoilant les secrets des uns et les silences des autres constitue un témoignage très intéressant sur une partie du XXe siècle qui s’éloigne à grands pas et dont les nouvelles générations n’ont pas toujours connaissance au sein de leurs propres familles. Un roman émouvant et une contribution à la mémoire collective, on ne peut que remercier l’auteur qui creuse ce sillon avec opiniâtreté depuis une trentaine d’années et plusieurs dizaines d’ouvrages.

Serge Cabrol 
(05/11/15)    



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Editions du Rouergue

(Octobre 2015)
240 pages - 18 €










Daniel Crozes,
journaliste, historien et romancier, vit et écrit en Aveyron. il est l'auteur d'une trentaine d'ouvrages.


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