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Douglas COUPLAND

Génération A


Les abeilles ont disparu. Toute pollinisation se fait à la main, et l'on boit du vin de mûres, ou de pissenlits. C'est demain, ou après-demain. En tout cas, c'est un monde qui déjà nous ressemble, technologique, religieux, geek, globalisé et prozaquisé. Après la Génération X, Douglas Coupland explore une Génération A. A, pour after, peut-être. Ou pour ahora… Cinq personnages, jeunes, décalés mais à l'aise dans leur tête, lucides sans le savoir, se font piquer par des abeilles. Les piqûres se produisent aux USA, en France, au Sri-Lanka, en Nouvelle-Zélande, au Canada. Ces cinq personnages sont jeunes et sans attache, ils ont un autre point commun : ils sont allergiques à… Ne dévoilons rien ici. Douglas Coupland nous offre un roman à mourir de rire et à frémir d'effroi. En alternant les voix de ses cinq narrateurs il dresse un portrait désopilant et désespérant d'une société en devenir. C'est demain, ou après-demain, mais ça nous ressemble déjà. C'est de l'anticipation sociale.

Ils se nomment Harj, Zack, Samantha, Julien, Diana – par ordre d'apparition. L'une est atteinte du syndrome de Gilles de La Tourette, un autre se filme nu dans son tracteur tandis qu'il moissonne un maïs qui ne peut être consommé, une jeune fille élabore un "earth sandwich" sur son téléphone mobile avec une correspondante de Madrid, un rescapé d'un tsunami télé-travaille en Asie pour une firme américaine de vente par correspondance, un autre enfin, étudiant intermittent, ne jure que par son avatar dans World of Warcraft – dans le désordre. Ne riez pas, ce sont vos enfants. Enfin, ils pourraient l'être. Ils se font piquer par une abeille – événement inconcevable – et sont immédiatement isolés, enfermés, incarcérés, par des scientifiques. Sans doute secrètent-ils une hormone formidable, perdue. En tout cas, rare. Le roman débute et prend sa vitesse de croisière, pour ensuite bifurquer vers autre chose, d'encore plus jubilatoire…

Le Décaméron. Prenez cinq jeune gens, mettez-les dans une île déserte ou presque, en tout cas préservée d'une "peste" ambiante… Que croyez-vous qu'il arrive ? Les jeunes gens vont raconter des histoires. Chacun à son tour, incité à l'imagination par un chercheur pas très clair, va "fictionnaliser" son aventure et sa vie. Et c'est là que ça devient rudement intéressant. Ce qui partait comme un roman déjà rigolo se transforme en presque réflexion sur le pouvoir du conte. Petit à petit, les cinq ne font plus qu'un, les histoires qu'ils inventent et racontent se répondent, jusqu'à tisser une trame narrative qui aboutit à la vérité. Génération A est aussi un roman à suspens, un roman policier, il y a un coupable, un manipulateur. Il faut cinq cerveaux connectés, et rebelles, pour le débusquer.

Comme Génération X, Génération A a de bonnes chances de devenir un "roman culte". La grande force de ce roman, c'est qu'il permet plusieurs entrées, et plusieurs niveaux de jubilation. Ainsi, on peut s'attacher aux incises sur l'art de la narration et de la fiction : « Les histoires viennent d'un endroit de notre être qu'on ne visite que très rarement - parfois même jamais ». « Vous savez quoi ? Au lieu d'inventer et de raconter des histoires, je vais améliorer la trame de ma vie ». « Comme c'était cruel que l'humanité soit contrainte de se conformer à l'expérience électronique globale. Mais toutes les autres options avaient disparu. Il n'y avait plus de pays où se réfugier ("un pays" : quelle notion désuète), où les gens lisaient des livres et avaient des vies qui devenaient des histoires ». « Julien, tu as une approche trop littérale des histoires. Détends-toi et savoure leur structure. Laisse passer une nuit de sommeil, le temps qu'elles fassent leur effet ». On ne dévoilera pas ici l'objet magique de ce conte socio-philosophico-littéraire, ce serait vraiment dommage. Disons simplement qu'il est aussi question de « la solitude que l'on ressent lorsqu'on lit un bon bouquin ». Et Génération A est un sacré bon bouquin !

Christine Bini 
(12/09/13)    
Lire d'autres articles de Christine Bini sur http://lalectricealoeuvre.blogs.nouvelobs.com



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Au diable vauvert

(Septembre 2013)
368 pages - 20 €

Traduit de l’anglais
(Canada)
par Christophe Grosdidier





Douglas Coupland,
né en 1961, vit à Vancouver. Plasticien et designer, il est l'auteur de Génération X, traduit dans le monde entier. Quatre autres romans ont été édités au Diable Vauvert et repris en 10/18.






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