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Aucun repère : on ne connaît ni le lieu ni l'époque. Avec Le Rire du grand blessé, Cécile Coulon plonge le lecteur au cur des rouages d'une machinerie totalitaire de laquelle la littérature est bannie. La littérature, pas les livres. Les Livres, eux, sont fabriqués selon des recettes propres à déclencher les émotions premières primitives de la population. Livres Fous Rires, Livres Tendresse, Livres Haine, et Livres Frissons qui font « aboyer » la peur du public. Du public, oui. Car les Livres sont non seulement lus, mais déclamés par des Liseurs, lors de shows où se presse une foule avide, surveillée par les Agents du Service National. Ces représentations qui déchaînent l'hystérie collective ont pour nom « Manifestation À Haut Risque ». Les régimes totalitaires ont toujours craint – et continuent de craindre – la chose pensée et écrite. La littérature rend libre, elle est suspecte, impossible à contraindre, elle disperse ses miasmes comme autant de virus de révolte. Orwell et Bradbury ont déjà sondé le thème. Dans l'espace politique où se déroule l'action du Rire du grand blessé, on a fait des Livres une arme de destruction massive de la pensée. Livres, avec majuscule. Tous les symboles de l'asservissement et du contrôle, dans le roman, arborent la majuscule qui doit inspirer le respect : le Grand le dirigeant , la Lecture, les Écriveurs, les Maisons de Mots Dans ce roman court et dense, la typographie et la disposition montrent de façon lapidaire et efficace la froideur des rapports sociaux : les dialogues, brefs, utilitaires, sont en italique. Le héros se « nomme » 1075. Agent du Service National,
il est, comme tous ses collègues, analphabète. Ne pas savoir lire
est la première des conditions pour être admis dans ce corps d'armée
dont les membres sont choyés par le pouvoir : leurs conditions de vie
sont on ne peut plus enviables, bel appartement, domesticité, reconnaissance.
Et surveillance 24 heures sur 24 par circuit interne sauf dans les toilettes,
le détail a son importance dans le roman. Cécile Coulon décrit un monde net, où la barbarie est omniprésente, en ville comme à la campagne. 1075 est issu de territoires paysans incultes où les enfants dorment sur des paillasses et travaillent aux champs dès leur plus jeune âge. Leur seul espoir est d'intégrer le Service National. L'univers citadin, alphabétisé, est fanatisé par les Livres. Ces Livres sont calibrés, industrialisés, médiatisés à outrance, ils sont l'arme et l'instrument privilégiés du pouvoir dictatorial. Glaçant. Le Rire du grand blessé est un roman glaçant. Parce qu'il nous renvoie aux moyens de fanatiser les foules coupe du monde de football en Argentine sous la dictature, par exemple et à la société du divertissement dans laquelle nous baignons. On nous sert, à la télévision, et sur les linéaires des rayons librairie des hypermarchés, des programmes et des livres qui mériteraient la majuscule. Nous pouvons mettre des titres d'émissions et des noms d' « auteurs », là-dessus, n'est-ce pas ? Nous ne vivons pas sous un régime totalitaire. Le roman de Cécile Coulon en est la preuve, qui appuie là où ça ne fait pas encore tout à fait mal. Le retournement de 1075 nous donne un peu d'espoir. Extrait : Christine Bini (24/10/13) Lire d'autres articles de Christine Bini sur http://christinebini.blogspot.fr/ |
Sommaire Lectures Viviane Hamy (Septembre 2013) 136 pages - 17 € Points (Août 2015) 144 pages - 5,90 €
La librairie Mollat a réalisé une vidéo où l'auteur présente son roman. |
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