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Hwang CHUN-MING


J'aime Mary



Ses nouvelles sont invraisemblables comme la vérité. Hwang Chun-Ming (né à Luodong, Taïwan, en 1935) raconte en discontinu la vie quotidienne de Taïwan dont il distille les épisodes les plus inattendus comme on étale les cartes du tarot. On les mélangerait à nouveau que la carte fatidique sortirait encore : ici, elle porte les caractères si particuliers de l’île natale, ancienne Formose. La multiplicité des curiosités de l’auteur ajoutée aux nombreux métiers qu’il a exercés (instituteur, vendeur d’eaux minérales, opérateur radio dans l’armée, documentariste, entre autres spécialités) expliquent, s’il en est besoin, la richesse baroque de son univers romanesque qui puise au plus intime de la mentalité de la république de Chine et de ses habitants, si conditionnés par l’influence américaine et la société de consommation.

Des quatre nouvelles traduites du chinois par Matthieu Kolatte, j’ai adoré « La Grande Poupée de son fils » (1968) que le cinéaste Hou Hsiao-hsien a adaptée en 1983 pour le grand écran sous le titre « L’Homme-Sandwich ». Pour nourrir sa famille (sa femme A-Tsu et leur fils A-Liong), Khun-Tshiu se transforme en homme-sandwich au service de La Porte du bonheur, un cinéma de la ville. Étrangement accoutré de la tête aux pieds à la manière d’un officier européen du XIXe siècle, il maudit son labeur tout alimentaire qui le ridiculise aux yeux de la population et excite les moqueries des enfants de la rue. La même corrosion, une égale férocité marquent « J’aime Mary » (1977), la nouvelle éponyme du recueil qui met en scène David Chen alias Chen Shun-Te, cadre taïwanais d’une société américaine qui, dans le secret espoir de gravir les échelons de l’entreprise, recueille la chienne de son patron rentré aux États-Unis et ruine l’harmonie de son foyer. Dans « Le Goût des pommes » (1972), fable à l’ironie grinçante, un ouvrier du bâtiment, Chiang Ah-Fa, est renversé et mutilé par l’automobile d’un officier américain, le colonel Grant. Plutôt que la fatalité, la providence de l’accident de la circulation est invoquée par la famille miséreuse de la victime en raison du dédommagement pécuniaire qu’il induit. La morbidité se mêle au burlesque dans « Le Chapeau de Hsiao-Chi » (1975) où deux représentants de commerce pas très futés, Wang Wu-Hsiung et Lin Tsai-Fa, tentent d’écouler une immense batterie de cocotte-minute japonaises sous le regard de Hsiao-Chi, une fillette solitaire et énigmatique dont le père est officier.

Ce nouvelliste-là est un orfèvre dans l’analyse des sentiments et dans l’exploration de la destinée humaine. Au gré d’une géographie imprécise – ses décors s’inspirent vraisemblablement d’un quartier de Taipei à moins qu’il ne s’agisse de la ville de Yilan, au sud-est de la capitale –, il parvient à faire entrer un monde entier dans les limites d’une narration étroite. Outre les qualités de vivacité et d’exactitude, l’auteur dispose d’un regard acéré qui sait choisir parmi les détails et les images qui importent, instantanés subtils qui caractérisent l’écriture d’un véritable styliste.


Cet article est issu des Papiers collés N°11 (Automne 2014) de Claude Darras 



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Lectures









Gallimard

(Janvier 2014)
208 pages - 22 €


Traduit du chinois par
Matthieu Kolatte




Hwang Chun-ming
est un écrivain taïwanais
né en 1935.



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