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Antoine Choplin et Hubert Mingarelli écrivent ici sous la forme d'un roman épistolaire à deux voix, l’histoire d’une amitié entre Pavle et Jovan, deux hommes liés par un passé douloureux, celui de la guerre en ex-Yougoslavie où ils combattaient côte à côte. À son retour en Argentine, Pavle ressent le besoin de prolonger ces retrouvailles par une correspondance. Les premières lettres, prudentes et assez formelles, ne mentionnent que le plaisir de leur dernière rencontre et l'envie de garder contact. Après les propos de courtoisie et les anecdotes du quotidien, apparaissent au fil des lettres des épanchements vite réprimés, des allusions encore assez énigmatiques mais récurrentes sur leur camarade Branimir, sur un incendie et une femme. Entre demi-vérités et demi-mensonges, hésitations sensibles et rétractations, on entend que les mots peinent à sortir mais que le nœud qui les lie se trouve là, que quelque chose d'inavoué (d'inavouable ?) se cache derrière des formules apparemment banales ou convenues. Tous deux à travers cette correspondance se révèlent fragilisés voire plombés par un drame dont ils auraient été avec Branimir à la fois victimes et acteurs. Un événement dont aucun des correspondants n'aurait l'ensemble des clefs, ignorant chacun ce que l'autre aurait exactement fait ou dit quand il se trouvait à l’abri des regards. De lettre en lettre, à travers le dialogue qui s'est noué, la lumière finit par se faire sur cette soirée d'hiver où Pavle, Jovan et Branimir, envoyés en mission de reconnaissance, s'étaient réfugiés dans une vieille maison isolée, officiellement pour la fouiller, de fait pour s'y s'abriter, y découvrant du feu pour se réchauffer, de la bière pour étancher leur soif et une femme. Quand, un peu plus tard, ils repartiront avec leur chef de section ne laissant que des cendres derrière eux, Branimir manquera à l'appel... Un livre de 80 pages à peine, intense et magnifique, sur la guerre et les traumatismes qu'elle provoque chez ceux qui la font autant que chez ceux qui la subissent, où le duo d'écrivains parvient à nous faire ressentir dès les premières lettres pourtant apparemment anodines que ces deux êtres-là partagent un terrible secret. Dans ce texte intimiste entre amitié et violence, chaque détail compte, accompagnant lentement et avec pudeur le cheminement des protagonistes vers la réalité de cet épisode tragique. Et le lecteur, presque par effraction, à l'aune des confidences mais aussi des omissions et travestissements qui s'y glissent, par cette succession d'indices infimes, découvre peu à peu les doutes, la honte ou la culpabilité, les rancœurs, qui habitent Pavle et Jovan et minent leur présent. Avec une cohérence complète du déroulement de l'histoire mais aussi du style qui présente les mêmes qualités de sobriété, d'intensité, d'évocation impressionniste que l'écriture de chacun des auteurs pris séparément dans ses livres personnels, ce texte tout en puissance et en délicatesse conjuguées, avec une utilisation magistrale des silences et des non-dits, laisse entrevoir une rédemption possible par l'écriture. Rien n'est dit dans cette édition sur la façon dont le livre a été élaboré par les auteurs mais tout porte à croire que ces deux-là (dont la proximité littéraire est une évidence) se connaissent bien. Loin du simple exercice de style réussi avec brio, c'est un récit profondément sensible et personnel, tendu vers l'essentiel et ancré dans une humanité fragile et paradoxale, entre ombre et lumière, froidure du climat et chaleur de l'amitié virile, qui est ici offert au lecteur. Un livre rare, fascinant et bouleversant. Dominique Baillon-Lalande (11/02/15) |
Sommaire Lectures La fosse aux ours (Janvier 2015) 80 pages - 13 €
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