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Renaud DE PUTTER & Guy BORDIN

Vies de Charlotte Dufrène
À l’ombre de Raymond Roussel et Michel Leiris



« Ce livre est le fruit d'une recherche biographique […] sur Charlotte Fredez, dite Dufrène,  à travers un examen aussi exhaustif que possible des sources (correspondance, photographies, livres, études, articles de journaux, etc.) la rencontre des témoins oculaires » notamment John Ashberry, poète américain et grand amateur de l'œuvre de Raymond Roussel dont il pense avec Éluard qu’il « nous montre tout ce qu'il n'a pas été. Nous sommes quelques-uns à qui cette réalité seule importe. » Et bien sûr Michel Leiris parce que, comme le disent les auteurs écrivant cette biographie comme s'ils s'adressaient à la dédicataire elle-même, « vous l'avez bien connu de 1914 jusqu'à votre mort en 1968 ».

Quelle étrange vie que celle de cette demi-mondaine, cette "cocotte" comme on disait à la fin du XIXe siècle, qui, née en 1880, devient à vingt ans, la maîtresse du comte Bertrand de Valon, va fréquenter les salons les plus huppés, les champs de courses et les casinos les plus à la mode, devenir l'amie de Reynaldo Hahn et certainement rencontrer Marcel Proust et tient déjà plus du personnage de fiction, « une sorte d'Odette Swann, d'origine un peu obscure, mais à coup sûr élégante et d'un goût distingué », que d'une vraie femme.

Vendue par son amant en titre à la mère de Raymond Roussel qui veut cacher derrière cette présence féminine les goûts sexuels prohibés de son fils, cette "fille de joie" va donc bizarrement mener auprès de cet étrange écrivain, une vie de luxe certes, la fortune de Roussel est immense, mais une vie de nonne, une vie de "paravent".

« La vie de Roussel paraît avoir été une sorte de vide enchanté. Sa vie amoureuse fut tout aussi inconsistante. Afin de conjurer les prostitués qui cherchaient fréquemment à le faire chanter, il se dota d'une maîtresse […] elle est devenue sa seule amie intime. »

Cette jolie poupée écartée par la famille après le suicide du "grand homme", oubliée de tous et évitant de peu la misère grâce au fils du financier de Roussel, Michel Leiris, fidèle à son amour de jeunesse, va éclairer de sa présence "décorative" des pans entiers de l'obscure vie de Raymond Roussel.
« Vous êtes une étrangère, une voyageuse sans bagages, une petite planète en transit vers une ombre toujours plus profonde, une comète – parfois mutine, parfois inquiète – qui reflète vaguement en se désagrégeant les lueurs émises par les luminaires illustres dont elle a croisé le chemin. »

Vraiment curieuse, cette vie qui semble, par on ne sait quel mystérieux mimétisme, être descendue, comme le dit Ashberry de l'écriture de Roussel, au « zéro absolu ».

Un livre pour les amateurs de l'écrivain des "minutes marquantes", parentes de la mémoire involontaire de Proust et des épiphanies de Joyce,  qui écrivait : « Contrairement à vous, j'ai tout mon temps. Je peux me perdre dans des détails minuscules, inventer des mondes complets laissant loin derrière ce que vous considérez comme "fictions" […]  Vous voulez faire  "beau" : moi, pas. Je fais selon mon désir, j'invente ma technique, mes règles qui n'ont de sens que pour moi, et c'est ainsi que naîtra mon monde. » Un monde que Charlotte Dufrène a côtoyé sans jamais y entrer.

Sylvie Lansade 
(13/07/16)    



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Les Impressions Nouvelles

(Mars 2016)
368 pages - 23 €












Charlotte Dufrène
(1880-1968)