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Michel CHAILLOU


L'hypothèse de l'ombre


Ce roman est un étrange puzzle dont les pièces viennent peu à peu combler les vides. Les éléments déposés sur les premières pages ne fournissent pas beaucoup d'informations. Un homme va se réfugier dans une maison isolée. Il se cache, il fuit. Pourquoi se cache-t-il ? Que fuit-il ? Quel délit ou quel crime a-t-il commis ? Il va falloir un peu de patience pour le comprendre…

L'homme (on apprendra son prénom page 28, son métier page 39, son nom page 81…) cogite et ressasse, tourne et retourne la même histoire dans tous les sens, par bribes qui s'ajoutent les unes aux autres pour constituer peu à peu le récit d'une soirée familiale suivie, le lendemain matin, d'une macabre découverte, écho d'une scène presque identique vécue une trentaine d'années plus tôt, quand il avait douze ans.

C'est une écriture en spirale qui tourne autour de cette scène et peu à peu nous en rapproche, chapitre après chapitre, tout en nous faisant visiter la région…

La maison où il se cache, la villa Rose, est près de l'océan, non loin du village où il a passé son enfance. Elle appartient à des amis, partis quelque temps aux Etats-Unis, qui lui avaient indiqué la cachette de la clé au cas où il voudrait venir respirer un bol d'air iodé. Et de l'air, on n'en manque pas dans ce roman. L'histoire se déroule sur une semaine, pendant les congés de la Toussaint. Tous les jours, il se rend – à pied bien sûr – au village dont on va découvrir les lieux et les habitants. Le bar de la Jetée et son patron, Louis Baron – appelé par les habitués le baron Louis – , en général peu volubile mais parfois capable de se lancer dans le récit d'un fait divers ou une diatribe contre la tempête qu'il craint comme un tsunami. Le restaurant des Mouettes où Charles-André prend vite ses habitudes grâce à la charmante Mme Le Guilvinec qui le sert toujours avec empressement. On croisera Angèle une amie d'enfance qu'il préfère pourtant éviter, Aimé Bonnafoux le vicaire aux mains de charpentier, et quelques autres… Une galerie de personnages qui distrait notre fuyard quand il cherche à échapper à sa culpabilité, à sa peur et à la solitude.

Mais les promenades et les rencontres ne suffisent pas à lui faire oublier totalement la raison de sa présence à la villa Rose et son esprit le ramène sans cesse à une autre maison, elle aussi isolée au milieu d'un parc, une "folie en briques" surnommée "le château", où la famille s'est réunie le soir qui précédait le début du roman pour en préparer la vente et se répartir l'héritage. Une soirée digne d'Agatha Christie dont les détails sont distillés lentement, comme l'armagnac qu'on y a bu et qui n'est peut-être pas pour rien dans cette histoire…

Ce roman mérite bien sa place dans la collection Haute enfance car l'enfance est au cœur du roman. Le retour dans le village où il a vécu plusieurs années avec sa tante Marie fait remonter sans cesse les souvenirs de cette adorable bigote qui avait toujours sa Bible format réduit dans la grande poche de son tablier et lui commentait de manière approximative les photos d'un grand livre jaune sur la Galilée. Sa mort lorsqu'il avait douze ans est intimement liée à la situation angoissante qu'il vit aujourd'hui…

Difficile d'en dire plus sans dévoiler les secrets de Charles-André et réduire à néant les efforts de l'auteur pour mener à bien son jeu de cache-cache littéraire. Il faut savoir donner du temps au temps, savourer toutes les circonvolutions de cette délicate écriture qui nous promène sur les traces d'un personnage aussi perdu que le lecteur, un antihéros qui n'est sûr de rien et à qui Diane, son ex-compagne (comment vivre avec un homme pareil ?), reprochait tellement de n'être jamais là, de se tenir à ses côtés avec des yeux d'ailleurs, d'un ailleurs dont elle ne savait rien et lui non plus d'ailleurs, et dont il surgissait en s'excusant. Diane qui, mise au courant de cette foutue histoire, en aurait à ce point haussé les épaules qu'il en rougissait déjà, s'imaginant l'entendre, avec son grand bon sens et ses phrases définitives : qu'on puisse s'embrouiller l'esprit à ce point, "se monter le bourrichon" de cette façon dépassait l'entendement ! Elle n'aurait pas dit cela, mais c'est tout comme...

Et jusqu'aux dernières pages, on se demande s'il a ou non commis ce dont il craint d'être coupable… Mais ne comptez pas sur moi pour vous le révéler, je m'en voudrais de gâcher le plaisir de votre lecture.

Serge Cabrol 
(01/12/13)    



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Lectures








Gallimard

(Novembre 2013)
Collection
Haute enfance

192 pages - 17,90 €









Michel Chaillou,
né à Nantes en 1930,
a déjà publié une trentaine d'ouvrages et reçu le Grand prix de littérature de l'Académie française pour l'ensemble de son œuvre.

Michel Chaillou
est décédé
le 11 décembre 2013.




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