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Javier CERCAS

L’Imposteur


L’Imposteur, le dernier livre de Javier Cercas publié par Actes Sud commence par cette confidence : « Je ne voulais pas écrire ce livre. » Et ainsi pendant sept ans tout en refusant de s’atteler à cet ouvrage, il l’écrivait tout de même à sa manière à travers les deux fictions sur lesquelles il travaillait entre temps.
Qui est L’Imposteur ? Qui est Enric Marco ? Le plus génial des mystificateurs ou bien le plus immonde des menteurs ?
Ainsi, cet homme qui n’avait jamais su dire ‘Non’, cet homme qui vécut sous le régime franquiste en tant qu’humble et discret garagiste, lui qui partira en 40, pour fuir non pas la dictature de son pays mais ces trois années de service militaire qu’il doit à sa patrie, s’engagera, appâté par le gain, comme ouvrier volontaire (volontaire !) dans les usines de métallurgie de l’Allemagne Nazie, et cela dans le cadre des accords de coopération entre Franco et Hitler. Cet homme qui reviendra en Espagne avant la fatale défaite du Troisième Reich, pour s’intégrer parmi ses compatriotes qui bon gré mal gré diront ‘Oui’. Oui à Franco, oui à l’Espagne soumise. Ce même Enric Marco au milieu des années 70, dès la mort du Général Franco, dès le tranquille passage de la dictature à la démocratie, s’inventera un passé (comme notre Jean-Claude Romand, autre imposteur, autre mystificateur s’est inventé un présent). Le passé d’un Enric Marco anarchiste antifranquiste et vaillant combattant de la dictature ; un Enric Marco exilé de son pays et condamné par contumace ; un Enric Marco arrêté à Marseille par la Gestapo et surtout un Enric Marco transféré dans un camp de concentration, celui de Flossenbürg où furent incarcérés 96.000 prisonniers politiques et autres dont des Espagnols et où 30.000 y trouvèrent la mort dont 14 Espagnols (c’est ce trop petit nombre qui lui fera choisir ce camp en risquant moins d’être démasqué par un compatriote véritablement incarcéré dans ce sinistre lieu). Flossenbürg où Enric Marco fut libéré avec ses codétenus en avril 1945 par l’armée américaine.
Fort de ces cocardes de combattant et de victime du franquisme et du nazisme, il deviendra pendant des années le président et le porte-parole de l’Amicale de Mauthausen (association espagnole des anciens déportés) autre grand camp d’extermination du mécanisme implacable de l’Holocauste.
Enric Marco aurait pu vivre ainsi longtemps son imposture si en 2005 Benito Bermejo, un historien consciencieux et honnête ne l’avait démasqué.
Alors éclata l’affaire Marco, avec cette grande question : « Comment notre homme avait pu tromper tant de gens pendant aussi longtemps avec un mensonge aussi monstrueux ? »
Javier Cercas ne voulait pas écrire ce livre car essayer de comprendre c’est justifier. Il ne voulait surtout pas réhabiliter l’homme, le disculper ni même lui donner les honneurs d’un ouvrage uniquement consacré à sa personne.
Pourtant ce livre Javier Cercas finira par l’écrire et cela en étroite collaboration avec Marco L’Imposteur. Avec aussi des doutes et des craintes dont il devine qu’il n’est pas le seul à les avoir. « Je suis sûr d’une chose : pendant que j’essayais de découvrir la vérité sur Marco, je n’étais pas le seul à nourrir des doutes sur ce livre que durant des années je n’ai pas voulu écrire ; Marco en nourrissait lui aussi. »

Loin d’être effondré, ou pire de se suicider comme certains le lui ont suggéré, après la révélation de son odieux mensonge, mensonge qui insultait la mémoire des millions de victime de l’Holocauste, Enric Marco se défend : « Je ne me suis moqué de personne ; au contraire : j’ai fait connaître cette infamie. En plus, j’ai démontré que tout le monde s’en fichait de cette infamie, que, du moins en Espagne, personne ne voulait en entendre parler, elle n’avait intéressé personne et continuait à n’intéresser personne. Ou bien croyez-vous que, s’ils en avaient su quelque chose ou si ça les avait vraiment intéressés, mon mensonge serait passé pour la vérité et qu’ils auraient cru à ma bouffonnerie ? Ecoutez, avec votre roman *, vous avez démontré à plein de gens qu’ils avaient oublié la guerre et surtout les perdants de la guerre, ou pour le moins, vous leur avez fait croire qu’ils l’avaient oubliée, mais avec mon imposture, j’ai démontré que l’Holocauste n’existait pas dans notre pays ou qu’il n’intéressait personne. Ne me dites pas que j’ai fait du mal à qui que ce soit. »
Javier Cercas ne peut s’empêcher d’associer la vie d’Enric Marco à celle d’Alonso Quijano qui soudain à la cinquantaine s’offre un passé de glorieux chevalier en devenant Don Quichotte, mais Don Quichotte n’a trompé que lui-même ; le déporté de Fossenbürg Marco, lui, a trompé la mémoire de millions de victimes et de rescapés du plus monstrueux des crimes de l’humanité.
Au-delà de ce mensonge bien gardé et bien organisé (le livre décrit cette minutieuse mystification), Javier Cercas découvrira un élément bien plus monstrueux que je vous laisse l’horreur de découvrir dans les dernières pages de L’Imposteur  

L’Imposteur n’est pas uniquement l’histoire de ce menteur hors du commun, mais également l’histoire de l’Espagne et de son passé parfois lourd à porter comme un mensonge.

David Nahmias 
(29/10/15)    



* Les soldats de Salamine de Javier Cercas – Actes-Sud 2002. « Ce roman traite du geste d’un soldat républicain qui, à la fin de la guerre civile espagnole, doit tuer un dirigeant fasciste mais décide de ne pas le faire. »


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Actes Sud

(Septembre 2015)
416 pages - 23,50 €



Traduit de l'espagnol par
Élisabeth BEYER
et
Aleksandar GRUJICIC









Javier Cercas,
né en 1962, est un écrivain et traducteur espagnol, auteur d’une douzaine de livres (nouvelles, romans, essais) qui ont obtenu plusieurs prix littéraires.



Bio-bibliographie sur
Wikipédia





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