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Il a seize ans, elle huit quand, juste avant que les forces serbes n'entament
le siège de leur ville natale, ils font leurs valises pour quitter Vukovar,
en ex-Yougoslavie, pour une colonie au bord de la mer. On est en 1991. La mère
viendra les chercher à la fin des vacances pour les emmener en sûreté
avec elle à Zagreb. Le père lui, resté sur place pour défendre
son pays et sa ville, les rejoindra plus-tard. Peut-être. La scolarité de la "petite" est aléatoire. Le manque
de place, l'angoisse palpable de la mère face à la disparition
du père dont on ne trouve aucune trace, les privations et vexations permanentes
auxquelles sont confrontés "les déplacés" comme
d'être montrés du doigt parce qu'ils bénéficient
du transport gratuit en bus, n'arrangent rien. "On a été
une centaine à s'inscrire à l'école du coin ; (...) on
s'est unis dans la guerre contre les "Gorets", c'était notre
sobriquet préféré pour les culs-terreux Zagorrois. (...)
On avait tous plus ou moins le même âge, on était tous aussi
pauvres les uns que les autres ou presque, mais nous, on venait de la ville.
(...) Ils nous voyaient comme des intrus qui menaçaient leur existence,
des personnes déplacées qui bénéficiaient de grosses
allocations, possédaient des magnétoscopes, vivaient dans un hôtel
où ils étaient servis comme des pachas." Le frère, révolté, miné, ne supportant plus ni
la promiscuité ni les siens, accable l'administration de courriers en
vue de l'obtention d'un logement décent. Sans effet. La fillette lentement grandit et l'adolescence pointe son nez, accompagnée des premiers troubles liés à la découverte de son corps. Cet Igor, extérieur à son monde et sosie, ou presque, de Kurt Cobain, croisé au dancing, la fait rêver. Un premier baiser. "A partir de cette soirée, l'excitation a toujours eu le goût de la vodka-orange, des éclats de rire et des Yorks chiffonnées qui font tousser. Ça a été le début d'une libération et d'une grande souffrance." Le tombeur lâchera vite la belle quand il apprendra sa condition de réfugiée. Les relations entre frère et sur sont orageuses, depuis toujours, mais devenues pires encore : "T'as troqué le biberon pour les cigarettes, t'as l'air d'un pingouin dans le désert." Puis c'est de façon inespérée, grâce à un
concours de rédaction brillamment gagné, que la possibilité
d'intégrer un bon lycée en ville s'offre à la jeune fille.
Une chance assortie du pensionnat obligatoire pour le vilain petit canard abandonné
chez les cygnes et d'un apprentissage plus aigu encore de la différence
et de la solitude. "Parfois j'ai peur de n'être pas normale et
que tout le monde le voie. J'ai peur de devenir folle, de ne plus savoir ni
ce que je fais, ni où je suis, parce que j'ai beau regarder dans toutes
les directions, je ne vois que des visages hostiles (...) Parce qu'en temps
que personnes déplacées, je suppose qu'on serait censés
errer comme des gueux couverts de crasse jusqu'à la fin de nos jours." Enfin, presque dix ans après la fuite du pays, le vrai logement tant attendu, excentré mais avec une pièce pour chacun, est attribué à la famille. "Cette nuit je ne vais pas dormir, je vais faire mes adieux à tout le monde et fêter ça, et demain, demain, c'est inimaginable." Ce premier roman, qui a obtenu le prix Kiklop du meilleur livre croate en
2010, est en partie autobiographique. Le fait de choisir comme narratrice et personnage principal la fillette, donne
au récit des teintes de naïveté, d'espièglerie, qui
viennent paramétrer le drame de la disparition du père, de l'exil,
des difficultés quotidiennes avec la fraîcheur de l'enfance, comme
un filtre à la cruauté du monde. L'autre sujet important de cette autobiographie, c'est l'évocation de la guerre de Yougoslavie elle-même et plus particulièrement du massacre de la ville croate de Vukovar située entre la Hongrie, la Serbie et la Bosnie-Herzégovine, envahie puis détruite après un siège de plusieurs mois, par l'armée serbe en 1991. Par l'intensité de la violence des combats, la quasi totale destruction de la cité, l'exécution des blessés et les atrocités diverses commises envers les civils, venant s'ajouter aux quelque 15000 morts comptabilisés, ce tragique épisode de notre histoire contemporaine tient la place de "cur souffrant" du roman, jamais décrit mais toujours fortement présent, en arrière plan. Mais, quelle que soit l'horreur de la tragédie historique qui fait trame,
ici le pathos n'est pas de mise. Dominique Baillon-Lalande (01/06/13) |
Sommaire Lectures Éditions Actes Sud (Novembre 2012) 224 pages - 21,80 € Traduit du croate par Christine CHALHOUB
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