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Philippe BESSON


De là, on voit la mer



Ce nouveau roman de Philippe Besson confirmerait, si cela n'était déjà fait, cette musique personnelle, ce ton qui nous attrape doucement et nous rend complices. Ce talent qui consiste à nous rendre sensibles à cette intimité des personnages. Ils deviennent proches, nous voyons à travers eux et parfois nous ressentons avec eux. Peut-être parce qu'ils sont peu nombreux, mais pas seulement. Car même si en réalité nous n'avons peut-être pas autant de points communs que nous nous l'imaginons sur le moment, leurs histoires singulières viennent le plus souvent rencontrer ce "quelque chose en nous de…."

Le précédent roman de Philippe Besson, Une bonne raison de se tuer, se déroulait en une journée, unité de temps par excellence. Dans De là, on voit la mer, il s'agit d'une histoire en trois actes. Cette allusion-référence au théâtre, indique cette scansion. Trois périodes et deux lieux : Livourne, Paris. Livourne.
C'est un roman sur l'écriture, sur la solitude aussi, qui l'accompagne, et sur l'amour qui arrive sans crier gare, ou qui peut s'en aller.

Le roman commence ainsi : Quand l'histoire commence on est dans la violence de l'été, l'extravagante violence des étés italiens. Le soleil frappe si fort qu'il rend insoutenable au regard le blanc des façades alentour. Il fait aussi la pierre brûlante…

C'est une femme qui écrit, Louise, une romancière célèbre et qui a justement besoin de cette solitude pour terminer son livre : Écrire le livre. C'est pour cette unique raison qu'elle est venue ici. Et plus loin : Donc elle écrit dans la chaleur épouvantable d'un été toscan qui ne veut pas mourir.

Cette écrivaine a loué une villa située sur un promontoire d'où elle voit la mer. Elle observe. Voilà dans les moments d'oisiveté, quand l'écriture ne surgit pas, elle va marcher sur le front de mer pour voir les hommes. Ecouter leurs voix, leurs interpellations viriles, leurs murmures, leur ahanement ou même leurs silences têtus. Sentir leur odeur, celle de l'effort, ou celle du large.

Les réflexions de l'auteur à travers son héroïne vont donner un sens aux évènements du livre, ainsi que quelques clés. L'écriture qui peut être une forme de vérité... Mais pourtant Elle s'apprête à retourner à écrire. A renouer avec la folie d'inventer des mensonges en espérant que les gens y croiront.

Philippe Besson a aussi cette façon bien à lui de nous faire non seulement ressentir les atmosphères grâce à quelques touches de couleur ou ponctuations, mais aussi de nous faire deviner certains décors sans nous les décrire tout à fait. Ainsi les images peuvent nous venir simplement, et nous faire penser, par exemple, à l'atmosphère du film de François Ozon Sous le sable lorsque Louise, parle de cette veuve d'un mari disparu : Ce qui l'intéressait c'est qu'il y ait un doute sur le décès du mari, que ce ne soit pas un fait établi.

C'est juste le début, le roman dans le roman, mais qui nous permettra d'écouter et peut-être comprendre les intentions de l'auteur Philippe Besson. En tout cas ce qu'il veut bien nous confier de l'écriture à travers cette femme qui écrit : le livre n'est pas au-dedans d'elle. Il est au dehors. C'est au dehors qu'elle va le chercher. C'est une nouvelle maison qu'elle va habiter. [...] Sur sa peau, à l'instant où les mots se forment, le soleil d'un été toscan qui s'en va. Rien à voir.

Ce premier acte, donc, et le jeune homme qu'elle rencontre. Mais en même temps le roman qui se fabrique. Elle écrit l'histoire de la femme seule privée de son époux disparu, et qui cherche dans son exil confortable un exutoire à son chagrin. La femme fait la connaissance d'un jeune homme, il n'a pas de prénom encore, il est flou [...] Soudain il lui revient qu'elle écrit parfois des livres prémonitoires. Elle invente des histoires et celles-ci finissent par arriver [...] Elle dit "Je suis l'écrivain du pressentiment".

Alors Louise et le jeune homme, Luca, le vrai, et à propos duquel elle va commencer à écrire. Aussitôt elle écrit ça : le corps étendu après la sensualité, le corps repu. La scène finira dans un roman. Rien n'est perdu. Tout lui sert.

Le jeune Luca la comble, elle s'épanouit dans leurs moments de rencontre, bien qu'elle les sache éphémères ou justement pour cela. Son mari resté à Paris lui téléphone : des paroles ordinaires conjugales, un babil prévisible, inconsistant et qui cependant les rapproche [...] le mensonge arrive, plus vraisemblable que toutes les vérités. L'habitude d'écrire des romans, que voulez-vous.

Deuxième acte : le mari de Louise a eu un accident. Elle rentre à Paris, et se rend à l'hôpital, à son chevet. Bientôt ils vont s'interroger tous les deux sur leur relation, apparemment solide, complice, mais probablement en danger. L'éloignement de Louise, son habitude d'indépendance ou cette promiscuité de couple durable.

C'est peut-être aussi un livre sur la jalousie, et la fragilité qu'elle provoque chez les êtres, chez les hommes peut-être davantage que chez cette femme qui, on le devine, conserve une force altière malgré ou grâce à sa sensibilité aux évènements. Mais son mari, lui, s'inquiète de l'évolution de leur relation : impossibilité induite par la réticence à admettre ce qui lui est révélé, mais également liée à la difficulté à caractériser ce qui advient : passade, aventure, liaison, histoire. Danger des mots trop précis [...] Danger des mots en toutes circonstances.

Ils concluent une sorte de marché. Et pour le troisième acte Louise retourne à Livourne où l'automne est soudainement arrivé [...]. Et d'un coup le jeune homme est là. [...] Ce qui s'exprime, c'est les yeux noirs, les yeux qui la déshabillent ou la caressent, c'est la bouche carnassière, c'est la peau. Il croit qu'on dit l'essentiel avec la peau.

Louise continue à écrire. Cela dure plusieurs semaines [...] L'indifférence à la peur, puisque rien ne compte davantage que l'amour qui se fait.

On n'en dira pas davantage sur l'histoire de cette femme et sur ce troisième acte. Mais la tentation est forte de citer encore le texte de Philippe Besson. Dans ce dernier roman, l'écriture est presque "à son comble" de finesse, de profondeur, et de légèreté mêlées.

Anne-Marie Boisson 
(14/02/13)    



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Editions Julliard

(Janvier 2013)
216 pages - 19 €










Philippe Besson,
né en 1967, écrivain, critique littéraire et animateur de télévision, a écrit une quizaine de livres et obtenu plusieurs prix dont le Grand Prix RTL-Lire pour L'Arrière-saison.
Ses romans, sélectionnés pour le Femina, le Médicis ou le Goncourt, sont repris en 10/18 et traduits dans une vingtaine de langues. Son frère, publié en 2001, a été adapté par Patrice Chéreau (Ours d'argent à Berlin). Un homme accidentel a été adapté, également pour le grand écran, par Rodolphe Marconi. Philippe Besson a par ailleurs écrit le scénario de Mourir d'aimer (2009), interprété par Muriel Robin, de La Mauvaise rencontre (2010) avec Jeanne Moreau, du Raspoutine, de Josée Dayan, en tant que coauteur, interprété par Gérard Depardieu, de Nos retrouvailles (2012) avec Fanny Ardant et Charles Berling, et du Livre de Paul avec Michel Piccoli.




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