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Benjamin BERTON

Le nuage radioactif



Un nuage radioactif est d’ordinaire invisible. Souvenons-nous de Tchernobyl : ce foutu nuage dont on nous a dit qu’il s’était arrêté aux frontières de la France. Et personne pour dire qu’il l’avait vu passer. Son nuage radioactif, Benjamin Berton le peint en bleu :
« À quelques dizaines de mètres de la Loire, stationnait un petit nuage bleu électrique, devenu un nuage moyen et cotonneux en forme de bulle de bande dessinée. »
Nous sommes sur les bords de Loire, près de la centrale de Chinon. Denis Caplan vient d’enlever son fils Ian à sa mère, et tous deux sont sur les routes, sans trop d’argent. Ils ne se connaissent pas, ou si peu. Le petit Ian part en cavale et découvre son père. Denis décide que la cavale suivra le cours emprunté par le nuage né des eaux de refroidissement de la centrale, et découvre son fils. Le père est un paumé violent de première, le fils est parfois un gamin capricieux. En chemin, ils rencontrent des personnages plus ou moins timbrés : des jumelles, un aérostier, un châtelain dépassé par une meute de chiens-chiens, une handicapée physique qui tient l’hôtel familial en l’absence de ses parents.
 
Le Nuage radioactif est un road-book ligérien savoureux. Outre la galerie de portraits, le lecteur découvre les vertus du nuage bleu. Car ce nuage n’apporte pas que la désolation et le chaos. Enfin, il apportera surtout la désolation et le chaos – non pas la fin du monde, mais peut-être le début d’un autre – mais il permettra aussi à quelques personnages, parmi lesquels un veuf et une adolescente disgraciée, une certaine forme de consolation, ce que Caplan prédit en ces termes : « Il y a peut-être une épidémie de guérisons et de miracles qui frappe la région ».
 
Benjamin Berton pose sur notre contemporanéité un regard acidulé, et dépeint un Val de Loire qui oscille entre zones commerciales et architecture historique. Le point nodal de la cavale est un petit hôtel provincial quelque peu déjeté, et l’épisode le plus hallucinant est sans doute la visite du château d’Ussé, le « château de la Belle au bois dormant », envahi par des chihuahuas et autres shih tzus. Le nuage surgi de la centrale survole un paysage et une société déjà déliquescents et quelque peu absurdes. Un ex-gendarme à la solde de la mafia corse et un client scandinave aux penchants de mass-murderer complètent le tableau apocalyptique. L’apocalypse, rappelons-le, est une révélation. Les temps à venir, que Berton imagine dans son épilogue, sont basés sur le repli : repli sur soi, cantonnement. Ils ne diffèrent pas vraiment de la situation antérieure à la catastrophe. Ils en sont l’amplification terrifiante. Déjà, dans La Chambre à remonter le temps (Gallimard, 2011), Benjamin Berton distillait une satire sociale sur fond de fantastique. Dans Le Nuage radioactif, il amplifie son motif. Les allusions aux héros des dessins animés que regarde l’enfant se mêlent aux références historiques autour de saint Martin et de son manteau. Nous laissons au lecteur curieux le soin de démêler les liens qui unissent dans le roman Denis Caplan (le nom renvoie aussi à La Mort aux trousses d’Hitchcock) et l’évêque de Tours.
 
Le Nuage radioactif est un roman qui emprunte à la picaresque son alacrité et à l’anticipation sociale sa désespérance.
 
NB : La vie et l’œuvre du compositeur américain Aaron Copland (on notera l’homophonie Caplan/Copland) rythment le roman. En « bonus » en fin d’ouvrage sont proposées une BD de Kevin Cannon (basée sur une des histoires que Denis invente pour endormir son fils Ian) et une playlist où se côtoient Aaron Copland, Black Reindeer et Scalper.

Christine Bini 
(28/08/14)    
Lire d'autres articles de Christine Bini sur http://christinebini.blogspot.fr/



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Ring

(Août 2014)
396 pages - 19,95 €






Benjamin Berton,
né en 1974, a publié sept livres et obtenu le prix Goncourt du premier roman en 2000 pour Sauvageons.



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