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Aurélien GOUGAUD

Lithium


« Aboli bibelot d’inanité sonore »
Stéphane Mallarmé  [Ses purs ongles… ( sonnet en -yx )]

À rebours de Mallarmé qui, lui,  tout en déplorant la mort du poète (Baudelaire), des rêves, de sa jeune sœur, leur redonne vie par l’écriture, Aurélien Gougaud achève de robotiser ceux de sa génération qui se croient vivants parce qu’ils se mettent en scène sur les réseaux sociaux alors qu’ils fonctionnent déjà « au lithium» comme leurs ordinateurs, leurs Smartphones, pour être plus performants et  équilibrer leurs humeurs. Le lithium ne soigne-t-il pas, aussi, la dépression, la bipolarité ?

Les deux spécimens décrits chaque jour, sur une semaine, (le temps du livre, excepté l’épilogue), alternativement d’abord puis ensemble, se rencontrent, n’ont même plus de nom.

Elle a 23 ans, très parisienne, en a assez de la vacuité de sa vie. Pour relancer la machine, sur un coup de tête, elle annonce sur Facebook son brusque départ.
« A l’occasion de mon départ en Australie ce dimanche, je vous propose …
Elle s’attarde volontairement sur chaque formulation, pour marquer le coup bien sûr, mais surtout parce que, sur Facebook, il est d’usage de bien écrire pour avoir l’air intelligent… […] Dans la demi-heure suivant l’annonce, messages et réactions affluent presque continuellement […] Un cataclysme on ne peut plus satisfaisant. Elle répond au compte-gouttes, aime quelques commentaires. »

Il est tout juste diplômé, travaille à la Défense, vit en colocation avec un pote qui fait le même business que lui, a de l’argent, pas d’amour pour celle avec qui il couche le weekend et  a conscience de la vanité de son existence et quelques scrupules…
« – Sinon, dans la vie, qu’est-ce que tu fais ?
Nous y revoilà. Toujours le métier, l’objectif, ce résumé d’existence, en quelques mots abstraits. Étiquetez-vous les uns les autres.
– J’arnaque des vieux.
Rire général.
– Non mais, sérieusement !
– J’arnaque des vieux. Une porte à huit cents balles je la facture huit mille, on me remercie, j’encaisse 10%, et, si tu veux tout savoir, je suis même payé pour ça.
"Génial" est l’adjectif qu’emploie la moitié mâle du couple pour qualifier cet aveu. "Il est génial, ton pote !" Ce que lui trouve "génial", c’est cette réalité qu’ils perçoivent comme un sketch. »

Une écriture comme un couperet : la description sans appel d’une jeunesse qui ne sait même pas qu’elle a vendu son âme contre des piles ! Attention le lithium est un métal rare et va être l’enjeu de toutes les convoitises… Un livre terrifiant de lucidité.
« Quoi de plus tentant que de découvrir des fragments de l’existence d’une personne rencontrée la veille. Ses photos, ses goûts, ses opinions… Une sorte de bande-annonce exhaustive à l’échelle humaine. C’est quand même pratique les réseaux sociaux, cet essor du contact virtuel et du manque de pudeur. En trois clics, l’accès à plus de données que n’en possède l’état civil sur n’importe quel individu. À sa naissance, c’était de la science-fiction. Aujourd’hui, assouvir cette curiosité malsaine est à la portée d’absolument n’importe qui. Mieux, tout le monde est d’accord. On est tous un peu Big Brother sur les bords. C’est là qu’Orwell avait tort. Chacun a le droit de se mettre en scène, de se donner de l’importance, d’avoir une image, d’être le héros de son biopic en temps réel. Mieux, on CHOISIT de le faire. Exposer son inexistence, se nourrir de celle du voisin. Virtuellement. Elle ne serait même pas capable de dire  s’il s’agit d’un loisir ou d’une nécessité ? Connecté à tout en étant proche de rien. Cette ouverture au monde, ce n’est que de la solitude sophistiquée. »

Sylvie Lansade 
(22/11/16)   



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Lectures








Albin Michel

(Août 2016)
192 pages - 16 €










Aurélien Gougaud,
né en 1991, a travaillé à la radio et est musicien.
Lithium est
son premier roman.