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Jean-Luc A. d'Asciano

Cigogne



Un recueil de sept nouvelles pleines de fantaisie sur l’enfance, la famille, les peurs, la folie, décliné sous forme de bestiaire fantastique.

Dans la nouvelle titre, une adolescente affirme (non sans humour)  sa rébellion face à son père qui s'est entiché d'une cigogne qui pourrit la vie de toute la famille.  « Johannes, c’est mon père. Klapperstorch, c’est une cigogne. Mais ceci n’est pas l’histoire d’amour entre mon père et Klapperstorch. C’est l’histoire de la guerre sans merci entre le reste de la famille et la cigogne. »

« Nous sommes nés monstrueux et notre vie fut belle. Nous sommes nés au plein milieu d’un été admirablement chaud. Nuls signes mystérieux – pluies de crapauds, migrations de rats, passages de comètes à la ponctualité détériorée, naissances d’agnelles à six pattes ou tournée de saltimbanques – n’annoncèrent notre venue. Juste le cri de douleur de ma mère lorsqu’elle accoucha, et son silence obstiné lorsqu’elle nous vit. » dit un des frères siamois à la voix miraculeuse au seuil de la mort dans une nouvelle émouvante et troublante.

« Ma maison est en haut d’une colline, au bout d’une rue isolée. D’autres maisons auraient dû être construites alentour, mais des raisons financières ont stoppé net les travaux. Ici, des sillons de tracteurs se remplissent d’eau, faisant office de mare avec têtards et faux moustiques, ceux qui marchent sur l’eau. Je connais les mouches, les moustiques et les libellules : les libellules sont comme les tigres. Elles sont belles, carnivores, et elles mangent les moustiques. Évidemment, je connais aussi les coccinelles ou les sauterelles, mais des insectes qui volent, je sais le nom de ces trois-là. Des cousins aussi, ils sont comme des moustiques, mais gros et stupides, qui volent mal. Je n’aime pas les cousins. D’ailleurs, les miens, je n’en ai pas. Il y a aussi des habitations à moitié construites, des bouts de mur qui font des forteresses idéales. J’y joue seul ou avec mes chiens, ou avec mon chat. Si ce n’est que mon chat joue rarement : il regarde ou il chasse. Mais il n’est jamais loin. » Ici, la vie de l'enfant chamane auprès d'un frère violent s’avère un peu chaotique. L'installation à proximité d'un cirque représentera une échappatoire bienvenue aux scènes dures familiales. (Chasse aux Cerf, Corbeaux). Sa rencontre avec une dompteuse lui fera découvrir une altérité nouvelle ni animale ni liée à la folie mais issue de la féminité et de la sexualité, et les numéros présentés sur la piste amèneront l'enfant à établir un certain parallèle entre ce à quoi il assiste sous le chapiteau et l’étrangeté de sa vie familiale. À la violence du frère se superpose celle des félins que le dompteur maîtrise de sa voix et son fouet. Et ce rapprochement lui donne à penser que face à son grand frère, fou et violent, « l’homme le plus fort du monde, c’est mon père » car « tenir mon frère à bout de bras, pendant si longtemps, c’est quand même incroyable. » (Cirque)
Trois nouvelles regroupées sous le générique "Trilogie chamane" qui  sont particulièrement poignantes.

Se croisent ici aussi un SDF cherchant avec ses chiennes un abri pour la nuit dans une maison en ruine, un schizophrène que les parents impuissants accompagnent face à un milieu médical assez distant…
Et tous finissent par constituer une farandole de personnages  atypiques dans des univers drôles et désenchantés…

Dans cet  univers à la lisière du conte, mélange de réalisme très cru et d’onirisme ouvert sur l’amour de la vie, ils font alliance avec les cigognes, lamas, iguanes, chats et autres bestioles à poils ou à plumes qu'ils élisent comme compagnons de solitude ou d'innocence. 
À la lisière du fantastique, les personnages aux lubies étranges de ces nouvelles font unanimement front à l'adversité en faisant entrer, grâce à des dons divers, les rêves ou le surnaturel dans le quotidien pour le rendre plus supportable.

C'est là ce qui fait lien dans ce recueil original et bouleversant qui flirte allègrement avec les démons et les fantômes que devinent dans leur innocence les enfants. 
De ce rapport magique au monde que l’enfant conserve avant la brutale immersion dans le réel, de ce questionnement sur la monstruosité, la folie et le hors-norme, émergeront, au-delà des angoisses, des identités en construction, des moments de joie et une tendresse toujours en veille.

Une belle découverte et une personnalité littéraire incontestable à découvrir.

Dominique Baillon-Lalande 
(26/05/15)   



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Serge Safran

(Mars 2015)
184 pages - 16,90 €













Jean-Luc d'Asciano,
a écrit des articles sur le roman noir, l’architecture, les arts contemporains ou la cuisine et fondé les éditions de L’Œil d’or où il a publié Petite mystique de Jean Genet (2007).