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Cathy YTAK


50 minutes avec toi



Un adolescent. Il a eu son bac avec un an d'avance, mention très bien. Mais de ce succès, il n'espère rien. Il s'en fout. Il ne fera pas les grandes études que son père a imaginées pour lui. Ce qu'il veut c'est vivre de cueillette ou de petits boulots en tout genre, faire n'importe quoi mais auprès de Camille. Le garçon dont il est amoureux.

Quand il entre dans la maison pour informer son père de sa décision, celui-ci est en pleins travaux de peinture. Mauvais moment, mais avec lui y en-a-t-il de bons ? « J'arrête tout » dit-il alors brièvement, sans attendre, comme on se jette à l'eau. Annonce difficile à entendre pour cet individu « un peu irritable et qui déteste les paysans, les pédés, les balayeurs et les chats, sans qu'on sache vraiment pourquoi. » L'homme est autoritaire et brutal. Entre eux, depuis les sept ans de l'enfant, la violence. Contre toute apparence sociale, cet homme « bien comme il faut » (tout le voisinage serait prêt à témoigner si nécessaire que ce père est un homme, certes sévère et un peu bourru mais respectable et attentif) n'a plus comme communication avec son fils que claques, coups et vexations. « Un monstre dénué de sentiments et de chair, qui ne s'arrête jamais, qui ne plie jamais. » La terreur, sournoisement, progressivement, a encerclé l'enfant. Pendant des années, cet élève brillant d'une timidité maladive, l'« intello triste » comme le nomment ses copains, a cru qu'il était le seul fautif, a tout fait pour devenir invisible, se faire oublier.

Mais ça, c'était avant de rencontrer Camille et de découvrir l'amour. Aujourd'hui, tout est différent. Il est décidé. A trouvé le courage de dire NON à son bourreau, en face. Alors qu'il s'attendait aux habituelles insultes et aux coups, l'homme, le pinceau à la main, sans un mot, s'écroule, foudroyé. Mort ou victime d'une de ces crises de neuroleptie dont il est atteint parfois ? Le jeune homme ne cherche pas à savoir. « Entre il tombe et une tombe, l'un est vivant et l'autre arrêté à jamais.(...) Tu dors, t'es mort » « Je ne sais combien de minutes il va falloir que j'attende avant d'être sûr, vraiment sûr que t'es mort. J'ai presque envie de dire : crevé, mais j'ose pas. Mort, c'est mieux, c'est normal. Crevé, on dit cela d'un chien. »

Le fils stupéfait s'écarte sans tenter le moindre geste, ni appeler les secours. Il profite de ce calme inattendu pour dire la révolte qu'il tait depuis trop longtemps, se libérer de tant d'années de souffrances muettes. Mais « Si l'objet de ma rage disparaît, que reste-t-il de ma rage ? »

La digue a rompu et il se laisse emporter par le flot de ses souvenirs, cette peur chevillée au corps qui le paralysait face à cette violence injuste lui remonte à la gorge, cette haine reçue, ressentie aussi. « Ce qui se passe dans les huis clos familiaux est parfois plus terrible que la guerre. Il n'y a pas de caméras, pas de journalistes, pas d'observateurs ni d'envoyés spéciaux, pas de trace, pas de trêve. Et jamais d'armistice ou de clairon sonnant la fin des hostilités. »

Puis il s'apaise. Raconte que, quand on grandit et qu'on devient plus fort, on peut réussir à surmonter sa terreur, à survivre. « La vie quand on a seize ou dix-sept ans, on ne peut pas la museler. » Quand on rencontre l'amour, elle devient « trop belle pour qu'on s'arrête longtemps aux portes des cimetières. » Simplement y croire, prendre une décision, oser.

Cinquante minutes plus tard très exactement, lui confirme sa montre, après un dernier regard pour le corps endormi ou inanimé qui git à ses pieds, il quitte les lieux. Le passé est derrière lui. Il peut maintenant courir vers une vie « entière, libre et désentravée », vers Camille qui l'attend.

Ce court récit (76 pages à peine) dit avec sensibilité, l'horreur de la violence imposée par un adulte à un enfant. En un long monologue au rythme fluide mais sans respiration, au vocabulaire quotidien mais précis, au phrasé épuré, l'adolescent révèle ses émotions secrètes, dénonce l'inacceptable, crie sa rage. Il va à l'essentiel avec les mots qu'il faut pour nous chambouler et nous faire ressentir les sentiments du sujet de l'intérieur.

Cependant au cœur de cette histoire d'une noirceur profonde, l'auteur parvient à insuffler de façon inespérée la lumière. Magie de l'amour qui donnera au garçon la force de se libérer, de s'imaginer un avenir, de croire au bonheur.

Un roman qui aborde des sujets difficiles : la violence, la résilience et l'amour avec force et justesse et s'adresse sans pudeur ni complaisance aux adolescents. Emouvant !

Dominique Baillon-Lalande 
(31/12/10)    



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Jeunesse









Actes Sud Junior

D'une seule voix
80 pages - 7,80 €







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