Joëlle WINTREBERT

La chambre de sable



Débrouillarde et curieuse, Marie, onze ans, n’a pas sa langue dans sa poche, s’intéresse à ce que disent et vivent les adultes, joue avec les mots, pique des colères, fait preuve d’un caractère bien affirmé et rappelle par bien des aspects l’impertinente Zazie de Queneau.

Elle s’appelle Marie Drac et vit avec sa mère, Sylvana, qui l’élève seule.
Son père, géologue en mission au Yémen, ne voulait pas d’enfant. Il a proposé un avortement dans les meilleures cliniques d’Angleterre eu de Suisse mais la jeune femme a préféré garder l’enfant plutôt que le compagnon. En fouillant la chambre de sa mère, Marie a retrouvé des lettres du géologue et un petit morceau de photo qui a échappé à la destruction.

En fait, elles ne vivent pas tout à fait seules parce qu’il y a Nana, la voisine, dont Marie et sa mère se sentent très proches. Nana est peintre et viscéralement anticonformiste. Elle exerce sur la fillette une influence plutôt libertaire, par exemple dans le domaine vestimentaire.
Marie boucle son short. Peau nue.
Pas de slip là-dessous, l'a exhortée Nana. Ce serait ridicule. Sauf cas de force majeure, les fuites et la mini, je ne vois pas l'intérêt de brider son minou. Même pas avec un string.
Depuis, Marie n'a porté boxers ou tangas que les jours d'école, soucieuse de s'éviter incompréhension et railleries. Elle aime la sensation d'avoir supprimé une entrave. Elle marche en liberté.


La chambre de Marie a été repeinte par Nana. Sable et mer assaillent les quatre murs. La plage est déserte. Seuls signes d’occupation, un seau et une pelle d’enfant, oubliés. Quelques voiliers rayent l’immensité marine. Le lit s’appuie contre le crépuscule. A l’horizon, un paquebot s’estompe, rosi par les derniers feux du couchant. Sur le mur adjacent, le soleil au zénith sèche une étoile de mer. Face à l’éblouissant midi, la même scène inversée se reflète dans les miroirs d’un placard intégré. L’aube se lève au bas du dernier mur. La fenêtre s’ouvre là comme une porte sur ailleurs, comme si l’aube de cette plage était la réalité, et le spectacle changeant de la fenêtre une pure fiction.
Le plafond est constellé d’étoiles phosphorescentes. Marie peut mette en scène ses rêves sur les murs de sa chambre, des rêves où elle évacue ses colères et ses souffrances, où elle punit sa mère en l’enfouissant dans le sable, la tête en bas, les jambes en l’air, ou en la noyant dans l’océan, la tête habitée d’anguilles. Parfois elle décrit ses rêves à Nana avec une telle précision que la jeune femme peut les peindre sur un papier mural dans son atelier, en secret, à l’abri des regards de Sylvana.

Marie, toujours curieuse et à l’affût, connaît plus ou moins bien les autres habitants de l’immeuble. Charlotte Cotillon, la couturière, qui est prête à lui donner un chaton de la portée qui vient de naître chez elle mais pas sans l’accord de Sylvana. Papa Maline, le médium sénégalais, qui propose le mariage à toutes les femmes qu’il rencontre. Et puis Justin Taillevent, le vieux monsieur qui fleurit certaines tombes du cimetière.

Le mercredi, quand sa mère travaille, Marie attend à côté de la porte de l’immeuble et suit dans la plus grande discrétion la première personne qui sort, connue ou inconnue. C’est ainsi qu’elle a suivi Justin Taillevent, l’a vu acheter des fleurs et les disposer ici ou là sur diverses sépultures. A-t-il tant de famille qui repose ici ? Mystère…

Rusée, téméraire et incapable de résister à son insatiable curiosité, Marie a trouvé le prétexte d’une fuite d’eau pour rendre visite au vieil homme et faire le tour de son appartement. Il lui montre les photographies qu’il réalise et lui propose de faire son portrait, avec l’accord de sa mère bien entendu. Marie adore ces séances de pose.
Mais quand un vieux monsieur photographie une petite fille dans son studio, on pense facilement à Lewis Carroll et pire encore ! Nana est convaincue des intentions malsaines du vieil homme… Et Marie, pour diverses raisons, en vient à détester Nana… Peu à peu la gravité l’emporte sur la légèreté et le tragique envahit la scène…

Joëlle Wintrebert a réussi un roman surprenant, parfois dérangeant, confrontant une enfant aux contradictions et aux fragilités des adultes, au rythme d’une écriture riche et vive, au fil d’une douzaine de chapitres donnant lieu chaque fois à des scènes nouvelles, violentes ou amusantes, qui entretiennent et font rebondir l’intérêt du récit. Loin d’être manichéen, le livre présente diverses facettes de chaque personnage. Comment Marie peut-elle réagir face à une telle complexité ?

Serge CABROL 
(28/08/08)    



Retour
Sommaire
Lectures









Editions Glyphe
182 pages - 16 €




Photo : © H. Lehalle
Joëlle Wintrebert,
romancière, nouvelliste, journaliste, critique, anthologiste, scénariste, traductrice… est l'auteur d'une bonne vingtaine de livres qui ont obtenu de nombreux prix et dont plusieurs ont été repris chez J'ai lu.










Pour visiter le site
de l'auteur :
www.wintrebert.info/fr