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Catherine VIGOURT

Un jeune garçon



Le roman commence sur la photo d’un très bel enfant arborant un sourire magnifique. Mais le cliché est ancien et, de son frère, la narratrice, née neuf ans plus tard, n’a jamais connu la douceur qui se dégage de ce visage angélique. A partir de cette image, elle se replonge dans leur histoire commune à la recherche de souvenirs heureux. Mais si lui reviennent les images de la télévision encore en noir et blanc où passaient « le nounours de bonne nuit les petits » et « bonne nuit les grands avec De Gaulle agitant ses mains lors de ses discours », de bonheurs partagés, aucune trace. Elle n’a jamais connu Alain que schizophrène et toxicomane. Un « Peter Pan des barricades de 68 » qui a tâté de la politique, de la vie en communauté, a décliné l’évasion sous toutes ses formes, voyages ou paradis artificiels. C’est en enfer que cet ange, passé maître en trafics divers, s’est enfoncé lentement. Un malade, un tyran, un être nuisible qui a emprisonné dans sa toile ses parents avec frère et sœur à leur suite.

Un solitaire, sans liens avec – sœur, frère, amante, fille compris – tout ce qui n’est pas cette mère avec laquelle il n’a jamais pu couper le cordon ombilical. Imprévisible, à la fois provocateur et charmeur, désarmé et manipulateur, il distille dans une famille vivant en huis clos par sa faute, la douleur. Du hasch à l’héroïne, sa vie cloîtrée dans la chambre de la maison familiale ou entre les murs de la prison ou de l’hôpital, n’est qu’égarements, errances, luttes, enfermements, fureur et autodestruction. Il va faire vivre à tous, sans un moment de répit, une plongée en abîme. Qu’il soit présent ou s’absente, quelques heures ou quelques jours, la tension qu’il génère est permanente entre manipulation sous-jacente, égocentrisme et violences ouvertes ou larvées. Vives les confrontations avec le père, dépassé par ce qui arrive, qui transforment chaque soir, ou presque, les soirées en cauchemars. Catherine, elle, se terre tout en guettant les crises du frère, les dérapages du père, les louvoiements de la mère qui tente de désamorcer les conflits. Depuis son plus jeune âge, la fillette n’a trouvé pour seul havre pour se ressourcer et s’évader, que la lecture. Enfoui en elle, avec honte, gronde un sentiment de haine qui cohabite avec la certitude que tant de souffrances subies en silence par sa faute constituent une preuve d’amour. Tout au long de son existence dans l’ombre de ce personnage animé par des forces paradoxales, désemparée devant ses attitudes suicidaires, victime de la terreur au quotidien qu’il impose, la puînée peine à exister, à respirer et oscille entre colère rentrée, culpabilité, peur et affection. Parfois elle en vient même à souhaiter très fort qu’il disparaisse pour retrouver un monde libre de lui. Mais jamais elle n’a fui ou ne s’est dérobée à ses appels. C’est elle encore qui accompagnera ce frère de cinquante ans jusqu’à son dernier souffle quand, dans un hôpital de banlieue, une hépatite l’emportera. Lorsqu’il est parti, il lui a semblé qu’enfin l’avenir se dégageait. Mais la colère muette, encombrante était toujours là, oppressante, accompagnée d’une culpabilité rampante. Il lui faudra replonger dans ces années noires partagées pour, peut-être, lui pardonner et faire la paix avec elle-même à travers l’écriture.

Catherine Vigourt signe ici un récit déstabilisant et hors normes sur les sentiments complexes qui tissent les liens familiaux. L’existence douloureuse et chaotique d’enfant schizophrène puis d’adolescent et d’adulte toxicomane du frère prend tout l’espace du roman de la même façon que celui-ci assiège complètement le cœur de la mère, focalise la colère du père, phagocyte le jeune frère et la cadette à ses délires sans laisser la moindre place à ce qui n’est pas lui. Alors on mesure à quel point la maladie mentale et la drogue peuvent détruire toute une famille. La narratrice ose dire sans édulcorer ses propos, cette compassion qu’elle ne ressent pas, la difficulté à exister dans cet univers miné, ce sentiment d’abandon qu’elle a éprouvé, ses rancœurs, sa révolte, cette colère rentrée, comme une douleur gardée pour soi, contre lui, contre eux tous qui subissaient et toujours se taisaient.

Au fil des pages, avec une écriture lucide, dense, juste, c’est devant autre chose qu’un témoignage que l’auteur nous place. Ses mots pour dire minutieusement, avec pudeur et ironie, la rage et la souffrance, nous renvoient au cœur de l’intime, à nous-mêmes. Ce que l’auteur nous décrit, nous avons pu nous aussi à l’occasion l’éprouver, dans un contexte moins extrême dans nos propres familles. Avec honte, malgré l’inconvenance à remettre en cause les liens d’affection indéfectible du clan. « Je voudrais bien pourtant régler son compte une bonne fois à l’alliance impossible des mots PAROLE et FAMILLE » écrit Catherine Vigourt. Quelle solitude on a pu éprouver nous aussi, parfois, au sein du nid, avec ses silences et ses secrets. Quels ressentiments enfouis derrière l’habitude et le poids social qui créent un substitut de complicité et de solidarité ! Quels champs de bataille au-delà des apparences lisses et convenues ! On ne peut s’empêcher d’entendre en fond sonore le célèbre "famille je vous hais" d’André Gide.

On se retrouve ici face à une écriture qui libère, apaise, même si, dans les toutes dernières pages, l’auteur avoue sa difficulté à terminer ce livre comme si la frappe du mot fin enterrait définitivement l’ange destructeur. De l’amour aussi flotte sur tout cela.

La grâce de ce récit dur et politiquement fort incorrect, c’est de porter par l’écriture, entre proximité et distance, avec provocation par moments, cette autobiographie douloureuse jusqu’au partage, de faire jaillir de ce désordre contextuel et affectif une certaine beauté, émouvante, troublante.

Ces petites phrases simples, efficaces sondent l’âme et remuent les cœurs.

Un livre fort qui émeut autant qu’il dérange.

Dominique Baillon-Lalande 
(27/04/10)   



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Éditions Stock

192 pages - 17 €





Photo © Stock
Catherine Vigourt,

enseignante dans la région parisienne, est l’auteur d’un recueil de nouvelles et de plusieurs romans.