Emmanuelle URIEN

Court, noir, sans sucre


Un titre à la Annie Saumont, en clin d’œil peut-être à Noir comme d’habitude de notre grande nouvelliste pour laquelle cette jeune auteur affirme son admiration sur son site riche et plein d’humour : www.emmanuelle-urien.org.

Treize nouvelles d’enfermement, de violence, d’absence, d’amour, de peur, qui mettent le doigt sur les drames familiaux, les cassures infligées par la vie et les désespérances, les petites et grandes guerres du quotidien. Une écriture simple et brutale, sans fards, ancrée dans le réel pour dire les renoncements et les révoltes de gens ordinaires. Les détails du décor discrètement évocateurs de la vie intérieure et extérieure des personnages, les gestes simples décrits dans leur banalité nourrissent les personnages d’émotions, infléchissent le récit et donne sens à l’histoire. « Monsieur et Madame tout-le-monde ont des vies passionnantes, bouleversées, dramatiques, infectes, il suffit de s’y intéresser, de soulever un peu le pan du vieux rideau qui occulte leur intérieur » explique l’auteur lors d’une interview. C’est effectivement ce qu’elle fait. Et très bien.

Parmi les thèmes majeurs, celui de la mort, du deuil, de l’euthanasie. Le décès de l’épicière seule amie de l’enfant délaissé de la nouvelle "Dans le panneau", l’accident qui coûta la vie aux enfants et au mari de Melanie Bix qui réclame "Assistance technique", l’épouse enceinte disparue à "La place du mort", ou encore le petit Bastien atteint d’une maladie dégénérescente faisant "Le chemin à l’envers" que sa mère accompagne, quatres nouvelles pour dire l’insondable douleur de l’absence ou de la maladie. Une évocation toujours pudique avec une distance respectueuse, un recul voire un décalage, qui permet à l’auteur d’éviter le pathos, le voyeurisme ou le morbide. Parfois même, un élément incongru, comme le colis jamais ouvert qui trône dans le salon du narrateur de "La place du mort" distrait l’attention du lecteur, l’intrigue, le fait presque sourire pour ne lâcher la tension dramatique qu’à la chute extrême.

Autre sujet privilégié, la violence domestique et la cruauté de certains hommes envers les femmes. La charge est lourde et étale en plein jour ces tares ordinairement bien cachées dans la chaleur des nids comme la domination absolue du mari qui séquestre et bat Pauline dans "Femme d‘intérieur", la cruauté plus policée du député sur sa belle et fragile épouse qui « avait passé quelques années à l’admirer, muette, les yeux humides, reconnaissante comme un toutou, sans bien savoir de quoi » dans "La vie au gramme près" ou la folie alcoolique du vieux marin de "La mer à boire" qui terrorise toute sa famille. Là encore, l’art de l’ellipse, l’humour grinçant, le rythme du récit et les détails trompeurs permettent à l’auteur d’aborder le territoire de ces violences banales et quotidiennes trop souvent passivement subies et impunies, sans surajouter au drame avec une charge affective trop forte qui plomberait le lecteur. Très loin du voyeurisme ou du récit à sensations d’une certaine presse, Emmanuelle Urien se positionne clairement en compassion, ou plus justement en empathie avec ses victimes narratrices et en accusation de leurs bourreaux.

Dans les « autres plantes à regarder crever » il y a la SDF « assise contre le bâtiment de la poste », Tonio et son taxi « clou de la décharge qui l’emmène de plus en plus loin » ou l’agent de l’administration qui s’effondre quand il est confronté à l’étrange Mme Mallet. Des saynètes auxquelles nous avons tous été déjà confrontés sans même, peut-être, y prêter attention, pathétiques et drôles à la fois, racontées avec humour, humanité et tendresse.

La nouvelliste explore aussi les territoires de l’étrange comme dans "Jardin secret", où Clément, adolescent attiré par le jardin mystérieux et si bien protégé du père Leloup (sic) autant par jeu et goût des interdits que par curiosité, découvrira pour son malheur les singulières méthodes horticoles du vieil homme. Un conte cruel et noir dans la pure tradition de Barbe-Bleue.

La plus belle et la plus terrible de ces nouvelles, "Les Mouches", s’inscrit dans le cadre des conflits ethniques du Katanga. Dans un hôpital de fortune Marianne, infirmière idéaliste, dévouée et fière de l’être, s’active pour « réparer » en toute neutralité les horreurs de la guerre. Parmi les blessés, deux femmes ramassées lors du massacre de leur village, violées, torturées sauvagement, dont l’état ne laisse pas grand espoir. Couché, face à elles, un homme la gorge hâtivement tranchée que Marianne croit pouvoir sauver. Mais les deux mourantes reconnaissant en lui un de leurs tortionnaires, le désigne du doigt et crient vengeance. Un texte fort et superbe dont les images restent longtemps en mémoire.

Des nouvelles noires donc, grinçantes, cruelles, qui ont le goût de l’amertume, de la colère mais aussi de l’amour et de la tendresse. Beaucoup d’humour aussi dans ces récits à l’atmosphère très sombre habités par une voix personnelle à l’apparente simplicité qui sait toucher juste et nous émouvoir. Une nouvelliste de talent à découvrir.

Dominique Baillon-Lalande 
(06/11/06)    



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Editions L'être minuscule
118 pages, 11 €






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de l'auteur :



www.emmanuelle-urien.org




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