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Caroline SERS


Des voisins qui vous veulent du bien



« Noir 7.5 est une nouvelle collection de polars marquant les premiers pas de Parigramme dans la fiction. Cette collection de polars dirigée par l'auteur Olivier Mau a pour cahier des charges d’utiliser le cadre de Paris, quartier par quartier, pour y ancrer des fictions qui s'en nourrissent. Chaque histoire est l’occasion de pénétrer un univers bien particulier. »


C'est ici le XXe arrondissement, et plus particulièrement le quartier de la rue de Bagnolet, qui sert de décor à Caroline Sers pour raconter l'un des derniers quartiers populaires de Paris mis en péril par l'entreprise de "nettoyage" entreprise par les promoteurs immobiliers.

Dès leur emménagement dans un petit appartement de l’Est parisien, Rodolphe et Bénédicte, des cartons plein les bras, font connaissance avec le couple du troisième qui leur apporte leur aide et leur ouvre grand leur porte et leurs cœurs. Pour ce tout jeune couple dont c'est le premier logement, c'est aussi le grand saut dans une nouvelle vie dans un vieux quartier populaire et pittoresque où on bavarde sur le trottoir, se retrouve à la terrasse des cafés, où la chaleur et la solidarité humaine compensent avantageusement l'insécurité supposée, brandie par les parents confortablement installés dans leur résidentiel VIIe arrondissement.

« La rue, dont elle ne voyait qu'une portion par la porte ouverte, avait toujours autant de cachet que la première fois. Les pavés, les petits immeubles dont certains étaient en brique, les lampadaires à l'ancienne... Bon il y avait aussi quelques tags, des ordures tombées à côté des poubelles, des types qui traînaient là, comme ces trois jeunes qui fumaient à une cinquantaine de mètres. Mais c'était charmant, dans l'ensemble. (…) Vieux Paris comme lui avait tout de suite dit son amie Marie. (…) Ils allaient être bien là. Tranquilles. »

Le poids des petits travaux à faire, les nouvelles contraintes d'un quotidien partagé, la fatigue des trajets du jeune mari, provoquent au fil des jours des tensions. Heureusement, leurs voisins du dessus, Laura et Antoine, ont toujours l'outil qui leur manque, l'attention qui réconforte, et la légèreté qui dédramatise.

Mais quand des objets incongrus non commandés sont livrés à leur domicile, que des mouvements bancaires ou des messages électroniques incontrôlés générateurs d'incompréhension et de défiance mutuelle se produisent, les disputes se multiplient et la distance s'installe.

Enfin, les voisins bienveillants se révèlent à terme envahissants voire étranges et même par moments agressifs. Pour couronner le tout, à l'extérieur des assassinats à répétition d'animaux domestiques et des incendies mortels viennent pourrir la vie du quartier.

Pendant ce temps, les promoteurs immobiliers restent tapis dans l'ombre et servent de boucs émissaires. L'atmosphère s'alourdit, le petit nid de rêve pourrait vite virer au cauchemar.
C'est à la police qu'il revient alors de rétablir l'ordre et de trouver des coupables.

C'est le premier polar de Caroline Sers et on y sent une application un peu trop consciencieuse qui conjuguée à un certain classicisme de l'écriture pourrait faire rater l'effet voulu. Mais il n'en est rien. L’auteur installe dès les premières pages une atmosphère sombre et oppressante qui, au-delà de l’intrigue facile à dénouer, s'y entend fort bien pour générer malaise et angoisse comme elle nous l'avait déjà prouvé dans ses romans édités par Buchet-Chastel.

C'est aussi dans sa manière de croquer les personnages, de fouiller leurs relations, de traquer leurs zones d'ombre que Caroline Sers excelle. Le personnage principal, Bénédicte, élevée au chaud de la bourgeoisie, est d'une naïveté, d'une immaturité et d'une vulnérabilité confondantes. Un rien l'effraye, elle doute totalement d'elle-même et serait par moments presque parano. Quant à son mari, dans son conformisme et son égoïsme, il n'a rien à lui envier. Très vite, ce couple prisonnier de ses principes et de son éducation s'avère davantage victime de son aveuglement que des pièges présumés tendus à leur intention. Ces agneaux-là sont trop inconsistants et trop dociles pour ne pas attirer les loups qui rodent. Quant aux voisins trop attentionnés, dont le lecteur flaire vite l'ambiguïté et la dangerosité, c'est surtout leurs pathologies cachées et l'itinéraire qui les a amenés à fomenter cette éventuelle et banale manipulation qui piquent notre curiosité.

Si la caricature de la bourgeoisie – permanence notable dans tous les livres de Caroline Sers – est ici encore féroce, les bobos parisiens, les exploiteurs immobiliers, les animateurs sociaux, les fonctionnaires de police enfermés dans leur monde, en prennent ici aussi pour leur grade.
Tous sont atteints des mêmes maux : l'égoïsme, la frustration, le souci de se conformer à la norme, la médiocrité de leurs actes et de leurs propos, leurs pensées étriquées...
Rien ni personne à sauver si le bateau coule.

Derrière la tranche de vie collective restituée par les nombreux dialogues entre les protagonistes, au-delà de la situation assez anecdotique qui constitue la trame de l'histoire, c'est la ville qui est en fait le personnage pivot du roman. Seul le quartier et ses rues pittoresques et chaleureuses semblent respirer à peu près librement et dégager encore, quels que soient les mauvais anges qui planent sur son avenir, un semblant de vie. Les pierres vaudraient-elles plus que ceux qui les hantent ?

L'aspect le plus surprenant de ce roman est sans doute son parti pris de décalage constant qui lui fait dire "proprement" avec une écriture rigoureusement classique, le pire désordre. Ou décrire de façon froide, presque clinique, les petitesses, les blessures, les peurs, qui précipitées ensemble dans la même éprouvette produiront l'explosion finale. Ces apparents paradoxes, cette distance établie volontairement par l'auteur tout au long du récit finit par paralyser le lecteur pour le laisser en position instable au bord du gouffre.

Faire appel à Caroline Sers pour débuter cette collection de polars ayant Paname pour décors était un pari sensé. Son univers romanesque s'y prête effectivement et elle nous offre ici un polar un peu hésitant dont la noirceur totale conjuguée à une certaine immobilité, trouble. Sans jamais avoir recours à la violence mais avec une détermination inflexible, elle étouffe le moindre souffle de vie qui se faufilerait sous une chape de désespoir froide et vénéneuse.
L'image de la capitale, elle, se décline loin des clichés ordinaires, en instantanés avec odeurs, couleurs et bruits en bonus en un contrepoint bienvenu.

Il en résulte un roman ambigu et attachant qui donne envie de pousser ses pas jusqu'à cet îlot parisien.

Dominique Baillon-Lalande 
(03/02/10)    



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Noir & polar










Editions Parigramme
192 pages - 12 €









Caroline Sers,
est l'auteur de
trois romans parus
chez Buchet-Chastel.





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