Marie-Christine SATO

Tsuru



Un homme est en train de mourir à Tunis. Il est japonais. Que reste-t-il de sa conscience ? Comment le passé efface-t-il en lui le présent qui est près de se rompre ? La vie continue dans la chambre d’hôpital. Les autres parlent de ces choses de tous les jours. L’infirmière pense à ses fiançailles, à sa mère, à l’impression que fera l’homme qu’elle va lui présenter. Elle pense aussi à la mergazia qu’elle mangera tout à l’heure. Car les univers singuliers sont seulement contigus.

Les oiseaux de papier amenés en origami qu’on offre aux malades ou aux dieux shintos sont pour Neïla de belles figures de papier, rien de plus. Mais seul Ichirô peut leur donner vie. C’est en lui que « tsuru, et l’oiseau magique couleur indigo » déplie ses ailes et ranime le Japon perdu, une mémoire légère comme l’est un dernier souffle avant le silence. Au creux de ses ailes, il y a des arbres oubliés, la saveur de mets aux noms perdus, la douce texture du papier washi.

Les origines restent gravées en nous, avec la grâce de ce que le souvenir rend immatériel, aérien et pourtant poignant. Elles reviennent, noyées dans la brume d’une conscience du mourant, au-delà du chemin qu’Ichirô commença vers Moscou, Paris et Tunis, alors qu’il était encore presque un enfant. Ce chemin est celui d’une vie qui va inexorablement à son terme. Le regard d’Ichirô, alors qu’il traverse en train la Russie, inscrit la fragilité au cœur même de ses espoirs et de ses craintes.

Ichirô rejoint l’homme qui s’éteint dans un lit d’hôpital à Tunis. Mille souvenirs se bousculent près de son lit de mort, rappelant notre finitude, le mystère de l’existence.

L’homme est-il aussi un oiseau de papier, dont les rêves sont la magie d’une traversée qu’un souffle de vent suffit à éclipser ? Il y a l’étrange beauté des « étoiles bleues » que forment ses veines au dos de ses mains. Il y a l’infini dans ses yeux qui sont en train de se fermer.

Avec la puissance de mots choisis avec une extrême concision, Marie-Christine Sato touche au cœur énigmatique de notre être, à petites touches, dans ce fondu où s’attardent les questions auxquelles on ne peut répondre. Elle sait dans les prunelles d’un regard tourné déjà vers ce qui est plus loin suggérer des immensités qui se croisent sans jamais se rencontrer.

Cécile Oumhani 
(01/07/06)    



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Editions Elyzad
94 pages
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