Éric SARNER

Et comme emportés, on demeure


Éric Sarner est écrivain, poète, cinéaste et réalisateur de reportages pour la télévision (Arte, France 5, A2, etc.). J’ai eu plusieurs fois le plaisir de l’entendre dire sa poésie et de parler avec lui de son écriture au rythme vif, jazzé qui emporte le lecteur comme l’auditeur. Je l’ai entendu nous dire son Chet Baker, impressionnant, que j’espère pouvoir lire bientôt. Les amateurs de l’écriture d’Éric Sarner avaient pu remarquer la puissance de son dire dans Sugar et Petit carnet du silence (aux éditions Dumerchez) et, récemment, la télévision a diffusé son odyssée américaine : Route 66, cette route mythique de 2400 miles qui va de Chicago à Los Angeles.

Et comme emportés, on demeure qui vient de paraître nous fait visiter une sorte de « je me souviens » à la Éric Sarner. Le titre est emprunté aux deux derniers vers de Nostalgia de Giuseppe Ungaretti : E come portati / si rimane. L’auteur nous en donne l’intégralité et la traduction qu’il en a faite. On pourrait diviser le recueil en quatre parties (aucun dérisoire dans la présence, Jazz, 1000 histoires (encore à raconter) et la suite Minutes/Montagnes). Si cette division n’est pas nécessaire, tant l’ensemble se tient, elle me permet de mieux aborder ce qui est dit.
« Aucun dérisoire dans la présence » est un vers que j’emprunte à cette première partie. Cela commence par le rapport entre l’Époux et l’Épousée, impossible de se connaître hors le corps : j’ai été collé à toi, t’ai connue collée à moi, non reconnaissables, un temps. Au point que chacun ignorait qui avait créé l’autre. Aboutissant au mystère du couple et de ce mot mystère devenu métaphore s’ensuivent d’autres images de ce mystère, telle que : sur la route qui surplombe l’eau tout en bordure de falaise cet homme a dit à voix haute Quand je serai vivant je serai la mer puis il a plongé, disparu et je suis là pour ne dire que cela pour mieux nous faire comprendre : Ainsi je ne suis pas un autre, pas seulement. Surtout je suis celui qui va venir, celui qui est là, celui qui vient, qui franchit ce que je suis qui n’est plus moi qui ne suis plus celui qui hier passait dans cette rue. Je suis l’avenir de moi-même et mon ancêtre sans nom, reconnu parce que je suis. Toute la structure de cette partie est jazzée, avec ses ruptures dans le continuum, avec ses digressions qui ouvrent comme en free jazz, ses retours sur thème, etc.

Jazz est cette musique qui innerve tant l’écriture d’Éric Sarner ; comme il le dit si bien dans ce poème : le juste dans le chaos du souffle / l’exact dans / l’incertitude.
Dans 1000 histoires (encore à raconter), le poète nous donne une liste qui se termine par un à poursuivre. Cet ensemble dédicacé à Jerome Rothenberg, commence par :

Oui,
souvent je me dis
qu’il faudra bien un jour
que je me décide à écrire

S’en suit une liste de thèmes tous plus étonnants les uns que les autres. Je vous en donne quelques-uns, pris au hasard de la lecture : l’histoire de celle qui donnait la larme ; l’histoire des vitesses de l’émotion ; l’histoire des travaux enfouis ; etc.

Minutes / Montagnes, une suite est un ensemble de poèmes ayant pour titre, chacun, le nom d’une montagne. Chaque poème n’est pas un chromo de la montagne, mais un rapport de l’humain à cette montagne.

Comme nous pouvons le constater, les différentes parties dont je vous ai parlé nous disent l’être, ce qui nous renvoie au titre du recueil : Et comme emportés, on demeure. Un être vivant qui reste debout. Merci à Éric Sarner pour ce très beau recueil si pertinent.
Il est de ces livres qui, refermés, n’arrêtent pas la lecture. L’esprit continue le voyage entrepris pendant longtemps. Alors on y retourne pour s’assurer que l’on n’a rien laissé en chemin. Et la beauté du voyage nous frappe à nouveau…

Gilbert Desmée 
(17/07/08)    



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