Nourredine SAADI

Il n'y a pas d'os dans la langue


Dans une petite ville du Nord, un homme sans âge, les yeux délavés par les soleils et les pluies, éternellement installé dans un vieux fauteuil de rotin, observe au loin le canal. Le narrateur reste songeur : de tout temps, et pour mille et mille raisons, les hommes de sa terre s'en vont, quittent leur pays, peut-être pour mieux se souvenir ou l'inventer. Si l'on veut connaître ces hommes, il faut chercher là où leur vie est secrètement tournée, obscure. Il faut écouter - ou écrire - leurs histoires...
Mêlant fiction et fragments de vie, Nourredine Saadi raconte ces histoires d'exil, ces récits intemporels et qui se sont pourtant déroulés dans l'amas des jours, dans la Demeure du père - ou dans son imagination. Grâce au talent de l'écrivain, jamais le souvenir ne s'effacera, pour la plus grande émotion de ses lecteurs.

(4e de couverture)

Tout ruisselait de couleurs, vibrait de cris, balançait au rythme de musiques sirupeuses ou saccadées. Une indescriptible cohue de vie : alignement de sacs d'épices enivrantes en tertres ocre, en pyramides de camails ; profusion de légumes aux peaux écarlates décorés de menthe, de basilic, de coriandre, de persil ; guirlandes d'oignons tressés, d'ail rose, de poivrons rouges dansant au vent au-dessus de fruits d'or ; rangées de bocaux d'olives vertes, noires, violettes, de citrons confits, de câpres, de cornichons d'Orient. […]
Il revenait ainsi chaque dimanche à Wazemmes dont il aimait prononcer le «Oua» comme pour Ouarzazate ou Djebel Ouach de son enfance. Il retournait à ce marché, attiré, subjugué, comme s'il y retrouvait un morceau d'Alger qui se serait envolé du souk de Djama'a Lihoud par un mystérieux voyage nocturne pour atterrir dans ce quartier de Lille.


Le recueil de Nourredine Saadi est un perpétuel va-et vient entre ici et là-bas, entre le présent et le passé.
Chacune des quatorze nouvelles est un voyage, un rêve, un récit qui entraîne le lecteur sur les traces d’un narrateur (ou d’une narratrice) vers la maison ou l’école de l’enfance, vers les rues de Constantine, une grotte en Kabylie, un village, un mausolée, une source…

Nourredine Saadi nourrit ses textes de souvenirs colorés, vivants, heureux ou violents. L’entrée des parachutistes dans une maison en 1958, le racisme subi dans l’enfance, les attentats des islamistes, le tremblement de terre de 2003 sont au cœur de plusieurs nouvelles en alternance avec des souvenirs plus lumineux, chargés d’émotions et d’une infinie richesse de sensations.

L’auteur est toujours aux prises avec cette double culture qui enrichit et écartèle.
Nous allions en effet, mes frères et moi – pas mes sœurs – chaque matin très tôt à l'école de la mosquée Jamaâ el-Kettanya. En cercle autour de Sidi Brahim, sous la surveillance de sa badine (qui nous mettait les pieds en sang lorsqu'on n'apprenait pas le verset) nous répétions, les yeux encore chassieux, les paroles d'Allah. Puis il fallait vite courir vers l'école Voltaire, parcourir les ruelles humides de la vieille ville de Constantine pour arriver avant la cloche. En classe, on s'asseyait sur des bancs, la chaleur du poêle nous dégourdissait les doigts et la maîtresse avait la voix si douce. C'est ainsi que je me suis mis secrètement à détester Sidi Brahim et son Coran et à faire la mosquée buissonnière. […]
La France de mon enfance ? C'est une séparation en moi, une frontière intime. Je ne rencontrais la France qu'en sortant de la maison. Chez nous, la France ne pénétrait pas.


L’exil est aussi un thème récurent de plusieurs textes, vu sous divers angles et raconté avec une émouvante nostalgie, avec humour, tendresse ou colère.

Dans l’écriture des jours heureux comme dans l’évocation des souffrances, ce livre nous offre une palette très large qui rend la lecture fascinante et on en sort profondément ému avec le désir de parcourir à nouveau certaines pages pour en retrouver la lumière, la musique ou l’inquiétante gravité.

Il n'y a que la mémoire qui sauve de la guerre et du temps. Ou peut-être le rêve et l'imagination...

Serge Cabrol 
(26/06/08)    



Retour
Sommaire
Lectures








Editions de L'Aube
144 pages - 13,80 €













Nourredine Saadi
est né à Constantine. Il a enseigné à l’université d’Alger jusqu’en 1994, puis il s’est établi dans le nord de la France où il enseigne le droit. Il a obtenu le prix Kateb Yacine pour Dieu-le-fit (Albin Michel, 1996) et le prix Beur FM Méditerranée pour La Nuit des origines (L’Aube, 2005).