Salman RUSHDIE


Shalimar le clown

Les romans de Salman Rushdie sont si foisonnants, le tissu en est si riche qu'il est malaisé d'en tirer un fil directeur. Shalimar le clown associe tragédie collective et tragédie privée, et transporte le lecteur en différents points de l'espace et du temps : à Los Angeles en 1991, à Strasbourg sous l'occupation allemande, au Cachemire enfin et surtout, pendant plusieurs décennies qui couvrent une bonne moitié du vingtième siècle.

Ce petit pays est le cœur du roman : jusqu'en 1949, il s'agit d'un royaume indépendant, paradis préservé des convulsions de l'Histoire, favorisé par une nature généreuse et riche d'une culture millénaire, où s'épanouissent les traditions du théâtre et de la gastronomie. La tolérance s'y associe au plaisir de vivre ; Hindous et Musulmans y cohabitent dans une harmonie fraternelle, que symbolise le jeune couple formé par Shalimar le clown et Boonyi la danseuse. Ce paradis peuplé d'abeilles et d'oiseaux, riche des fruits de la terre et bercé par le chant des rivières va être détruit par la partition ente l'Inde et le Pakistan, soumis dès lors aux exactions commises par l'armée d'occupation indienne et ravagé par le terrorisme islamiste. L'intolérance et la violence s'installent, les traditions culturelles agonisent. Parallèlement, on assiste à la destruction du couple que forment Boonyi et Shalimar, la jeune danseuse quittant son mari pour devenir la maîtresse de Maximilien Ophuls, ambassadeur des Etats-Unis en Inde. Dès lors dévoré par la haine, hanté par son besoin de vengeance, Shalimar rejoint les rangs des terroristes et devient un assassin professionnel, poursuivant au fil des années et des meurtres le projet de tuer Boonyi et son ancien amant.

Mais, si Shalimar le clown dépeint avec une violence saisissante les ravages du fanatisme et de la haine dans un pays secoué par les séismes de l'Histoire, il ne s'agit bien sûr en aucun cas d'un roman à thèse : la matière en est beaucoup trop somptueuse, la construction trop complexe, l'écriture trop chatoyante. Il s'agit, avant tout, d'une très grande œuvre littéraire, au confluent de plusieurs cultures, qui brasse légendes indiennes et références rabelaisiennes, tragique et burlesque, et qui entraîne le lecteur dans un torrent de sentiments et de sensations dont il ressort aussi stupéfait qu'ébloui. Ici, l'imagination est maîtresse du jeu et transcende sans cesse un réalisme qui s'épanouit spontanément en visions épiques ou glisse vers le merveilleux.

Sylvie Huguet 



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Traduit de l'anglais
par Claro