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Bertrand RUNTZ

Comme un clou planté dans la page


Le regard peut parler avec tant de force. Voilà ce que nous propose Bertrand Runtz dans son recueil de huit nouvelles. La force des mots, la force des émotions, le pouvoir du regard pour dire ce que l’on n’ose exprimer oralement nous emmènent dans un bonheur de lecture où les sentiments dans leurs plus grandes nudité et violence nous transportent à l’essence même de la vie.

Nous sommes avec cet enfant qui évoque la relation avec son frère en passant par les corrections qu’il reçoit de son père et de Mamadou, l’employé de son père. La mère est partie. Elle a quitté ce territoire à la limite du Sahara où le père garagiste est resté avec ses deux fils. Le père est blanc. Mamadou est noir. Les deux garçons vivent avec ces deux hommes et le narrateur découvre la violence et la justesse des corrections qu’il reçoit. Il les accepte car elles sont méritées. Cela va jouer sur la relation qu’il a avec son frère : « J'en avais les tripes nouées, retournées d'émotion, mais aussi de fierté partagée. Dans ce regard, je venais de comprendre que mon père avait mis tout ce qui lui tenait à cœur. Véritablement. Il m'avait tout dit. Ce qu’il lui était impossible de formuler autrement. De toute façon il ne connaissait pas les mots nécessaires. Il n'avait pas été à cette école-là. Il avait sauté la maternelle, peut-être bien le cours élémentaire, atterrissant directement dans le ruisseau de la vie. »

Une grand-mère a une petite-fille préférée. Elle lui confiera le bonheur de son premier amour pour qu’il continue à vivre. Une très belle nouvelle sur le vieillissement et la mort qui est aussi une ode à la vie.

Etre père est difficile. Etre la fille d’un père absent est une douleur mais celle-ci peut parfois se transformer alors que personne ne s’y attend : « Le voilà tout tremblant d'angoisse, suspendu à la décision d'une fillette haute comme trois pommes, la sienne : une parfaite étrangère. Moi. Le seul juge dont il est finalement prêt à accepter le verdict. »

Deux adolescents découvrent les prémices de l’amour et de tout ce que cela induit de plus magique et de plus trivial.

Être père est merveilleux mais génère beaucoup d’angoisse quand on imagine tous les possibles. C’est l’ambiguïté de l’amour.

On retrouve l’Afrique dans une très belle nouvelle qui montre les méandres de l’accès au bonheur. Le regard joue un rôle dans plusieurs textes mais la voix et le chant sont aussi déterminants. Ce sont des éléments qui constituent l’humain : « Quelles que soient la lassitude, la latitude, depuis l'aube des temps, sous la couleur changeante et trompeuse de la peau - tailleur ou boubou, homme ou femme, quelle différence ? - C'est l'infinie douleur du don de vivre, qui nous relie. Cette petite musique intérieure, fragile et opiniâtre, qui fait tourner le monde. En dépit de tout. Sur la pointe des pieds. Une noire, une blanche. L'air de rien, par la grâce éphémère d'un regard d'enfant. »

Parfois des nostalgiques de "leur" Afrique vont être maladroits avec les personnes noires qu’ils rencontrent. L’humain a souvent ses failles.

Pour terminer une petite touche de réflexion philosophique à partir d’un bol de soupe nous montre que les gestes du quotidien peuvent être le socle de toute une éthique.

Un recueil de nouvelles qui, une fois commencé, ne se lâche pas tant les personnages nous embarquent dans leur vie au plus profond d’eux-mêmes. Une très belle écriture à découvrir.

Brigitte Aubonnet 
(03/09/10)    



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Lectures










Editions
D'un noir si bleu

204 pages - 16,50 €









Bertrand Runtz,
né en 1963, photographe,
a publié plusieurs ouvrages dont un roman, Amère (Finitude 2005 et Pocket) et un autre recueil de nouvelles, Cette fragilité,
en dépit de tout…

(Finitude 2008).