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Christian ROUX
Avant, Larry, acousticien, fils d'un ingénieur et d'une institutrice,
était un homme incarnant la réussite. Il menait une vie tranquille
dans une belle maison avec sa femme et sa fille de dix ans, recevait des amis,
noyait les questions existentielles dans la douce torpeur du confort et l'assurance
que permet les fins de mois confortables. Mais notre homme n'est pas du bois à se laisser broyer sans réagir.
Pour se venger des humiliations subies, puisque qu'il est désigné
perdant d'office sur tous les tableaux dans cette pitoyable pantomime, il décide
de reprendre en main le contrôle de sa vie en fabriquant une fausse bombe
avec une boule de pâte à modeler et deux diodes. L'effet obtenu
par l'objet inoffensif mais doté d'une forte charge symbolique, lors
d'un entretien pour "un boulot de merde en complet décalage avec
ses qualifications" dont il sent qu'il lui échappe, est à
la hauteur de ses attentes : le jury panique et le pouvoir change de main. Mais
le plaisir est de courte durée et cet acte terroriste de cinéma
fait immédiatement basculer Larry, sans retour possible, dans le clan
des insoumis et des êtres potentiellement dangereux. Il s'apprête alors à franchir vraiment la frontière en
utilisant sa bombe pour braquer une banque. Seulement, le jour où il
passe aux actes, ses hésitations le font doubler par une jeune fille
aux cheveux rouges flanquée de complices sans scrupules qui abattent
à bout portant le caissier récalcitrant. Notre homme parviendra
tout de même grâce à son arme factice à sortir du
guêpier, embarquant la jeune fille en otage dans sa fuite. Lucie, qui
n'a rien à perdre et n'a pas froid aux yeux, ravie de se débarrasser
des voyous violents qui l'accompagnaient, le suit sans façon. Les dés sont jetés, condamnant le couple de fortune à
la fuite et à la survie. "Pour assurer leurs arrières,
il leur fallait engranger le plus d'argent possible" et vite. C'est
donc ensemble qu'ils effectuent quelques heures plus tard le braquage d'un bureau
de poste de village, du bel ouvrage sans violence ni victime, avant de passer
la nuit dans un hôtel minable. Une course sans fin et sans avenir dans
un monde où aucun n'a sa place. "Le premier sentiment que suscita
tout ce foutoir chez Larry fut celui d'être libéré. Fini
les humiliations, les soumissions, les politesses inutiles, les compromis, les
atermoiements. Fini de tricher avec l'amour aussi. [
] Sophie ne lui manquait
pas tant que ça. [
] Plus rien, dans son environnement immédiat,
ne lui rappelait sa vie antérieure ; il se retrouvait comme propulsé
dans une autre dimension du monde où seule la notion de survie importait."
Que reste-t-il à perdre quand on a tout perdu ? Les deux personnages en cavale, aussi largués et décalés
l'un que l'autre malgré leurs vingt ans d'écart, se découvrent,
deviennent complices et perfectionnent leur technique. Leur signalement publié
dans les journaux, comme témoins du braquage sanglant, les invite à
se travestir en Américains pour échapper à la police. On
n'emmerde pas un couple américain composé d'un grand noir Obamaniaque
portant un T-shirt "Yes, we can" et d'une jolie blonde en talons hauts
et lunettes roses. Mais les anciens "collègues" de Lu, qui
ont réussi à fuir avant l'arrivée de la police et voudraient
bien récupérer leur ancienne copine et son butin fraichement acquis,
sont eux aussi sur leurs traces
Quand ils reprennent la route vers le nord, c'est pour permettre à Larry
de remettre l'argent à son épouse pour l'entretien de la petite.
Mais la chance a tourné et la farce est finie pour les deux aventuriers.
L'étau se resserre autour d'eux, la machine s'enraye et les morts s'additionnent... Seul et sans illusion, Larry ira jusqu'au bout. L'issue ne peut être
que fatale alors autant terminer la partie avec panache : "Le peloton
d'exécution se tenait prêt mais on ne peut être exécuté
que lié à son poteau. [
] Certains mouraient pour la République.
Larry mourut contre. Tout contre." Ce roman vif et tragicomique repose sur les portraits pleins d'humanité
de deux marginaux, pareillement blessés par la vie et l'amour. Lui s'avère,
au-delà des apparences de mari et père tranquille, le veuf inconsolé
d'une histoire belle à pleurer portant le nom de Marie-Line liquidée
par le cancer. Elle, gamine provocante mais jamais grandie, avec sa peur chevillée
au ventre, abusée enfant par son père, s'oublie dans le sexe avec
une inconscience teintée de fatalité et de désespoir. Tous deux, pour des raisons différentes, sur fond d'une France minée
par le chômage et le pouvoir de l'argent flanquée d'une population
sans combativité ni perspectives, sont hors normes et insoumis. Le road-movie
s'installe dans le burlesque et tourne à la fable sociale. L'infernal
engrenage économique qui broie tout sur son passage, est mis à
nu. Le roman, constitué de scènes courtes, de phrases percutantes,
de dialogues bien ficelés qui s'enchaînent vite, s'appuie sur un
scénario efficace. En prime, l'auteur parvient, malgré la noirceur
intrinsèque de l'ensemble, à nous faire sourire et à nous
surprendre au détour d'une situation ou lors d'un finale irréaliste
et complétement décalé. On s'y laisse prendre, avec plaisir. En quatrième de couverture, l'éditeur mentionne une parenté
avec Le Couperet de Donald Westlake, roman adapté au
cinéma par Costa-Gavras. Certes, les liens sont réels, mais la
machine de guerre américaine se mâtine ici d'un certain romantisme
et d'un ancrage fort dans l'humain qui lui apporte une identité toute
personnelle. Dominique Baillon-Lalande |
Sommaire Noir & polar Editions Rivages / Noir (Mai 2012) 160 pages - 7 €
son site officiel : www.nicri.fr Découvrir sur notre site d'autres romans du même auteur : Les ombres mortes La bannière était en noir Kadogos |
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