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Christian ROUX


L'homme à la bombe



Avant, Larry, acousticien, fils d'un ingénieur et d'une institutrice, était un homme incarnant la réussite. Il menait une vie tranquille dans une belle maison avec sa femme et sa fille de dix ans, recevait des amis, noyait les questions existentielles dans la douce torpeur du confort et l'assurance que permet les fins de mois confortables.
Mais, restructurations obligent, quand notre homme se retrouve au chômage à plus de quarante ans, tout bascule. Il a beau se démener comme un beau diable, il reste sur le carreau. Au mieux, il est convoqué à des entretiens mais en vain. Il sent bien que "les DRH sont fatigués par ce défilé de mendiants". Certes son parcours est sans faute et le candidat est sympathique mais on le trouve trop diplômé, trop cher et... bien noir tout de même. "La réussite était blanche, l'échec noir. On ne sortait pas de là." Alors, comme pour de nombreux chômeurs, s'infiltrent en lui le doute et le repli sur soi, en découlent l'explosion du couple et l'exclusion sociale.

Mais notre homme n'est pas du bois à se laisser broyer sans réagir. Pour se venger des humiliations subies, puisque qu'il est désigné perdant d'office sur tous les tableaux dans cette pitoyable pantomime, il décide de reprendre en main le contrôle de sa vie en fabriquant une fausse bombe avec une boule de pâte à modeler et deux diodes. L'effet obtenu par l'objet inoffensif mais doté d'une forte charge symbolique, lors d'un entretien pour "un boulot de merde en complet décalage avec ses qualifications" dont il sent qu'il lui échappe, est à la hauteur de ses attentes : le jury panique et le pouvoir change de main. Mais le plaisir est de courte durée et cet acte terroriste de cinéma fait immédiatement basculer Larry, sans retour possible, dans le clan des insoumis et des êtres potentiellement dangereux.

Il s'apprête alors à franchir vraiment la frontière en utilisant sa bombe pour braquer une banque. Seulement, le jour où il passe aux actes, ses hésitations le font doubler par une jeune fille aux cheveux rouges flanquée de complices sans scrupules qui abattent à bout portant le caissier récalcitrant. Notre homme parviendra tout de même grâce à son arme factice à sortir du guêpier, embarquant la jeune fille en otage dans sa fuite. Lucie, qui n'a rien à perdre et n'a pas froid aux yeux, ravie de se débarrasser des voyous violents qui l'accompagnaient, le suit sans façon.

Les dés sont jetés, condamnant le couple de fortune à la fuite et à la survie. "Pour assurer leurs arrières, il leur fallait engranger le plus d'argent possible" et vite. C'est donc ensemble qu'ils effectuent quelques heures plus tard le braquage d'un bureau de poste de village, du bel ouvrage sans violence ni victime, avant de passer la nuit dans un hôtel minable. Une course sans fin et sans avenir dans un monde où aucun n'a sa place. "Le premier sentiment que suscita tout ce foutoir chez Larry fut celui d'être libéré. Fini les humiliations, les soumissions, les politesses inutiles, les compromis, les atermoiements. Fini de tricher avec l'amour aussi. […] Sophie ne lui manquait pas tant que ça. […] Plus rien, dans son environnement immédiat, ne lui rappelait sa vie antérieure ; il se retrouvait comme propulsé dans une autre dimension du monde où seule la notion de survie importait." Que reste-t-il à perdre quand on a tout perdu ?

Les deux personnages en cavale, aussi largués et décalés l'un que l'autre malgré leurs vingt ans d'écart, se découvrent, deviennent complices et perfectionnent leur technique. Leur signalement publié dans les journaux, comme témoins du braquage sanglant, les invite à se travestir en Américains pour échapper à la police. On n'emmerde pas un couple américain composé d'un grand noir Obamaniaque portant un T-shirt "Yes, we can" et d'une jolie blonde en talons hauts et lunettes roses. Mais les anciens "collègues" de Lu, qui ont réussi à fuir avant l'arrivée de la police et voudraient bien récupérer leur ancienne copine et son butin fraichement acquis, sont eux aussi sur leurs traces…
Ne leur reste qu'à se faire oublier avec les 50 000 euros récoltés. Le petit appartement des parents de Larry, situé au Cap d'Agde et inoccupé pour une semaine fera l'affaire.

Quand ils reprennent la route vers le nord, c'est pour permettre à Larry de remettre l'argent à son épouse pour l'entretien de la petite. Mais la chance a tourné et la farce est finie pour les deux aventuriers. L'étau se resserre autour d'eux, la machine s'enraye et les morts s'additionnent...

Seul et sans illusion, Larry ira jusqu'au bout. L'issue ne peut être que fatale alors autant terminer la partie avec panache : "Le peloton d'exécution se tenait prêt mais on ne peut être exécuté que lié à son poteau. […] Certains mouraient pour la République. Larry mourut contre. Tout contre."

Ce roman vif et tragicomique repose sur les portraits pleins d'humanité de deux marginaux, pareillement blessés par la vie et l'amour. Lui s'avère, au-delà des apparences de mari et père tranquille, le veuf inconsolé d'une histoire belle à pleurer portant le nom de Marie-Line liquidée par le cancer. Elle, gamine provocante mais jamais grandie, avec sa peur chevillée au ventre, abusée enfant par son père, s'oublie dans le sexe avec une inconscience teintée de fatalité et de désespoir.

Tous deux, pour des raisons différentes, sur fond d'une France minée par le chômage et le pouvoir de l'argent flanquée d'une population sans combativité ni perspectives, sont hors normes et insoumis. Le road-movie s'installe dans le burlesque et tourne à la fable sociale. L'infernal engrenage économique qui broie tout sur son passage, est mis à nu.
Avec cet improbable couple qui n'en est pas un, avec ces personnages attachants qui incarnent le refus de l'oppression molle et le goût de la liberté, l'auteur revisite avec talent le mythe du couple meurtrier en cavale. Il parvient à éviter les pièges de l'apitoiement, de la condamnation ou de la justification, en les décrivant simplement à hauteur d'homme, avec leurs souffrances, leurs rêves et leurs folies, leur courage de se démarquer de ces êtres déjà morts qu'ils croisent et côtoient, de ces ombres installées dans leur confort fragile et enfermées dans leur médiocrité aveugle.

Le roman, constitué de scènes courtes, de phrases percutantes, de dialogues bien ficelés qui s'enchaînent vite, s'appuie sur un scénario efficace. En prime, l'auteur parvient, malgré la noirceur intrinsèque de l'ensemble, à nous faire sourire et à nous surprendre au détour d'une situation ou lors d'un finale irréaliste et complétement décalé. On s'y laisse prendre, avec plaisir.

En quatrième de couverture, l'éditeur mentionne une parenté avec Le Couperet de Donald Westlake, roman adapté au cinéma par Costa-Gavras. Certes, les liens sont réels, mais la machine de guerre américaine se mâtine ici d'un certain romantisme et d'un ancrage fort dans l'humain qui lui apporte une identité toute personnelle.
Une version théâtrale du Couperet a été présentée dans le festival Off d'Avignon 2012 avec sur scène Christian Roux lui-même... Adaptation très réussie à voir pendant sa tournée d'automne.

Dominique Baillon-Lalande 
(03/08/12)    



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Noir & polar









Editions Rivages / Noir

(Mai 2012)
160 pages - 7 €









Christian Roux,
écrivain et musicien.

Pour visiter
son site officiel :
www.nicri.fr







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