Max ROUQUETTE

Vert Paradis


Mort en 2005, Max Rouquette a composé, à l’écart de l’effervescence parisienne et médiatique, une œuvre importante et largement méconnue, peut-être en partie parce qu’elle a été écrite en langue occitane. Les éditions du Rocher ont réédité récemment Vert Paradis, qui rassemble deux recueils de proses datés respectivement de 1962 et de 1974. On y trouve, dans une langue somptueuse et admirablement traduite, des textes courts qui vont du conte fantastique au souvenir vécu, en passant par la fable satirique et le portrait de personnages au saisissant relief.

Fortement ancrée dans la terre d’Oc, entre Camargue et Cévennes, l’œuvre révèle l’attention passionnée que son auteur accorde aux plantes, aux bêtes, aux humains qui s’y enracinent. Elle célèbre « le secret de l’herbe », la fraîcheur cachée des sources, la grâce de l’oiseau pareil à une « plume qui vole », la passion du chasseur à l’affût, tels qu’ils lui sont apparus aux jours éblouis de l’enfance. Le titre prend alors tout son sens : c’est bien d’un paradis qu’il s’agit, mais d’un paradis perdu qui laisse au cœur une inextinguible nostalgie. L’écriture intensément poétique épouse l’émerveillement du regard : « Je me souviens d’une nuit tellement claire où nous allâmes manger des cerises, dans un arbre aux feuilles luisantes. Baignés de rosée, les brins d’herbe scintillaient, les jeunes vignes étaient tendres à se briser et s’épandaient sous la pure clarté de la lune. Dans le jardin voisin, voix solitaire et aussi pure que le ciel, le rossignol disait tout l’émoi de sa chair. Les cerises étaient aussi fraîches que du gel. Il n’y avait plus d’heures. Nous étions perdus dans un monde de rêve entouré par le fil à la fois sombre et lumineux de ce chant qui coule de la nuit. » La terre semée de vers luisants apparaît comme un reflet du ciel étoilé, et la respiration de la nuit s’accorde à l’harmonie du cosmos : « Homme, lune et ciel, tout dans la nuit concourait à la grande paix. La terre était liée au ciel par la pulsation tranquille, le souffle léger, serein, d’un chant de grillon, accordé au frisson des étoiles. » L’homme semble trouver ici une place à sa mesure, entre l’infiniment grand et l’infiniment petit.

Mais, une fois exilé du paradis de l’enfance, il découvre aussi dans le spectacle de la terre le tragique de sa condition, qui est également celle de toute créature vivante engagée sur le chemin de sa propre mort. Le cosmos harmonieux fait alors place à ce « silence éternel des espaces infinis » qui effrayait tant Pascal. C’est précisément ce qu’éprouve Caçola, qui ne trouvera d’autre remède à son angoisse que de se pendre à un figuier : « Seul ainsi, comme tout homme devant la vérité du monde, nu comme le premier homme dans la nuit si nue, livré à sa froideur, à sa lumière de gel, à son mouvement mystérieux, à la puissance de sa pesanteur, à l’étendue infinie de son angoisse, il ne lui restait plus qu’à mesurer la lente marche des étoiles et à sentir glisser dans sa moelle le frisson d’une solitude que rien ne pouvait apaiser. » Max Rouquette élève d’ailleurs à la dignité du tragique les existences les plus humbles : telle celle de ce renard, qui se meurt dans le bassin à sec où il est malencontreusement tombé, ou celle de la tarentule que son destin de tarentule fait nécessairement la proie de la guêpe Pepsis, elle-même poussée par un instinct pareil à « cet obscur élan qui meut les astres et les fait tourner dans l’espace glacé, l’un autour de l’autre, comme autant d’oiseaux en amour. »

Cette célébration d’une terre solaire où se perpétue le cycle de la vie et de la mort a parfois des accents païens, mais elle est aussi imprégnée d’un christianisme rustique, celui des processions et des messes de minuit qui rassemblent dans l’église les habitants d’un village enneigé. Certains récits en sont tout embués de merveilleux, comme ce très beau conte de Noël, « La nuit du rouge-gorge » où l’on voit le Christ rassembler les bêtes de la forêt et les emmener à l’église pour qu’elles participent à la messe : « Puis, dans la chaleur et l’amour de cette fête, les oiseaux mêlèrent leur claire musique aux cantiques. Le merle dévida un ruisseau de pur velours sombre, une musique de paradis, libre, aussi somptueuse qu’une chaîne de montagnes dans une lumière d’aube, un chant baigné de rosée et de feuilles sèches au pied d’un rouvre. (…) A son écoute, l’église paraissait s’ouvrir comme une fleur devant la cour céleste suspendue pour l’entendre. »

Les quelques citations qui précèdent auront peut-être permis au lecteur d’appréhender la beauté de la langue, la richesse des sensations qu’elle renferme. Vert Paradis permet de découvrir un écrivain de tout premier plan, qui élève d’emblée le singulier au rang de l’universel, et dont l’envergure et la discrétion ne laissent pas d’évoquer un Julien Gracq.

Sylvie Huguet 
(22/12/07)    



Retour
Sommaire
Lectures









Editions du Rocher
Anatolia
342 pages - 20,90 €




Traduit de l'occitan
par Alem Surre-Garcia
avec la collaboration
de Françoise Meyruels