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Philip ROTH

La tache



Avec La tache, Philip Roth signe un roman brutal, réaliste, plein de finesse et d’ironie sur l’identité du complexe melting-pot américain. Il nous donne à lire, on ne peut plus clairement, le mal de vivre, les ressentiments, les revendications minoritaires made in America. La satire est lucide et incontournable de vérité.

Mais venons-en à l’histoire. Elle se déroule en 1998, au moment où Coleman Silk, ex-professeur de lettres classiques, démissionne de l’université d’Athéna pour propos racistes envers deux de ses étudiants. Il a soixante et onze ans. Il prend pour amante Faunia, une sensuelle femme de ménage de trente-quatre ans qui a sur ses talons un ex-mari vétéran de la guerre du Vietnam. Cet été-là, Bill Clinton, président des Etats-Unis, défraie la chronique avec l’affaire Lewinski.

Alors qu’il est un enfant à l’intelligence précoce, Coleman repère au fond de lui-même cette tache inexplicable. D’où vient-elle ? De quoi est-elle faite au juste ? C’est la tache de ses parents, de sa sœur et de son frère : Suis-je Blanc ? Suis-je Noir ? De quelle couleur sommes-nous au fond ? Comment résoudre la différence ? Comment l’effacer ? On ne peut s’empêcher de penser à Beckett dans L’Innommable : « Je ne suis ni d’un côté, ni de l’autre, je suis au milieu, je suis la cloison ».

Jeune adulte, Coleman Silk demande à sa mère qu’elle le renie et il ouvre en lui les portes de l’exil. Les autres personnages du roman sont tout aussi équivoques, magnifiquement croqués par la plume de Nathan Zuckerman, écrivain-narrateur récurrent des livres de Philip Roth. Ils s’appellent Delphine Roux, chef de département à l’université d’Athéna, Lesley Farley, Faunia Farley, Ernestine, Walter, les enfants de Coleman Silk. Leur histoire personnelle est marquée de près ou de loin par cette tache identitaire collective.


Ainsi commence le roman :

A l’été 1998, mon voisin Coleman Silk, retraité depuis deux ans, après une carrière à l’université d’Athéna où il avait enseigné les lettres classiques pendant une vingtaine d’années puis occupé le poste de doyen les seize années suivantes, m’a confié qu’à l’âge de soixante et onze ans il vivait une liaison avec une femme de ménage de l’université qui n’en avait que trente-quatre. Deux fois par semaine, elle faisait le ménage à notre poste rurale, baraque de planches grises qu’on aurait bien vu abriter une famille de fermiers de l’Oklahoma contre les vents du Dust Bowl dans les années trente, et qui, en face de la station-service, à l’écart de tout, solitaire, fait flotter son drapeau américain à la jonction des deux routes délimitant le centre de cette petite ville à flanc de montagne.
La première fois que Coleman avait vu cette femme, elle lessivait le parterre de la poste : il était arrivé tard, quelques minutes avant la fermeture, pour prendre son courrier. C’était une grande femme maigre et anguleuse, des cheveux blonds grisonnants tirés en queue de cheval, un visage à l’architecture sévère comme on en prête volontiers aux pionnières des rudes commencements de la Nouvelle-Angleterre, austères villageoises dures à la peine qui, sous la férule du pasteur, se laissaient docilement incarcérer dans la moralité régnante. Elle s’appelait Faunia Fraley, et plaquait sur sa garce de vie l’un de ces masques osseux et inexpressifs qui ne cachent rien et révèlent une solitude immense. Faunia habitait une chambre dans une laiterie du coin, où elle aidait à la traite des vaches pour payer son loyer. Elle avait quitté l’école en cinquième.
L’été où Coleman me mit dans la confidence fut celui où, hasard opportun, on éventa le secret de Bill Clinton jusque dans ses moindres détails mortifiants, plus vrais que nature, l’effet-vérité et la mortification dus l’un comme l’autre à l’âpre précision des faits. Une saison pareille, on n’en avait pas eu depuis la découverte fortuite des photos de Miss Amérique dans un vieux numéro de Penthouse : ces clichés du plus bel effet, qui la montraient nue à quatre pattes et sur le dos, avaient contraint la jeune femme honteuse et confuse à abdiquer pour devenir par la suite une pop star au succès colossal.

Patrick Ottaviani 
(04/03/10)    



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Lectures









Editions Gallimard

Prix Médicis 2002

Traduit de l'américain
par Josée Kamoun

(lire sur notre site
un entretien avec
la traductrice)





Gallimard / Folio
496 pages – 8,20 €




Philip Roth,
né en 1933.
a écrit une trentaine de livres et obtenu une vingtaine de prix littéraires.




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