Annie ROLLAND

Qui a peur de la littérature ado ?



La littérature ado fait-elle peur à certains ? Si oui, à qui ? Que cela signifie-t-il ?
Elle peut être surtout une menace pour l’ordre établi et en entrant en résonance avec la problématique des adolescents déranger certains adultes.
Annie Rolland dans un essai très bien construit, avec des analyses pertinentes et documentées, montre en quoi la censure concernant la littérature ado est un danger réel pour la liberté et la démocratie car comme le dit Cioran : « Un livre doit être un danger. »

Le premier chapitre, Qui a peur de la littérature de jeunesse ?, propose de traiter la littérature de jeunesse comme un objet psychologique – Censurer, aveugler, protéger participent d’un même projet destiné à contrôler les lectures des enfants : « Très peu de parents reconnaissent à leur enfant la capacité d’assumer des actes, des paroles et des opinions […] Protéger l’enfant de la peur, c’est le rassurer quand il a peur et non pas lui éviter par anticipation toute confrontation au danger et, ainsi, l’expérience de la peur. Un enfant qui a expérimenté la peur, dûment accompagné par des adultes rassurants, deviendra un adulte confiant (et non pas crédule !) qui inspirera confiance aux enfants à son tour.»

Le deuxième chapitre, Adolescences, expose les métamorphoses inhérentes à cet âge : « L’adolescent découvre que la vie ne va pas de soi, et qu’il est habité par sa propre finitude, ce qui est étranger à l’enfant [...] L’adolescent a parfois besoin d’être aidé à transformer, à élaborer ce fantasme de suicide en s’appuyant sur des représentations qui sont dans le social. D’où la nécessité d’en parler avec un adulte qui n’a pas peur d’aborder le sujet de la mort. » L’adolescent comme être de langage ne se satisfait pas d’un dialogue tissé par les non-dits et la peur : « La littérature constitue l’instrument privilégié de la découverte de l’intime parce qu’elle est le lieu de prédilection des mots. »

Le troisième chapitre : Le visage étrangement inquiétant de la censure ? « Quand on n’est pas capable de prendre le point de vue de l’intelligence, on prend celui de la morale. Henry de Montherlant » Certains auteurs sont très critiques et voudraient censurer des œuvres pour la jeunesse qui, à leurs yeux, ne peuvent pas aborder certains sujets tabous. Cette censure devient vite totalitaire et mène la littérature de jeunesse sur le banc des accusés. « Le problème majeur de la thèse de M.-C. Monchaux ne réside pas tant dans la couleur politique réactionnaire de ses propos que dans la subjectivité aiguë de ses prises de position vis-à-vis de la littérature pour la jeunesse. »

Le quatrième chapitre, Des ados et des livres, va à la rencontre d’adolescents qui témoignent de livres qui les ont particulièrement marqués : « En fait dans les livres qui parlent des justes, on parle jamais des camps d’extermination, on parle un peu des camps de déportation mais jamais vraiment des camps d’extermination, et là on voit sa vie dans ce camp ! On voit avec quelle froideur il tuait les juifs, il les incinérait, tout ça... […] ça nous donne un autre regard, on nous donne toujours le même regard et c’est bien de changer de camp… »

Le cinquième chapitre, Du côté des écrivains, présente trois auteurs pour la jeunesse (Gudule, Melvin Burgess et Hubert Ben Kemoun) qui assument la responsabilité de leurs créations littéraires comme un authentique dialogue avec les jeunes lecteurs. « Ils n’ont pas peur de parler de la mort, de la souffrance, de la violence des sentiments, de la sexualité génitale, des pulsions et du désir. Chacun à sa manière donne à ses lecteurs des représentations imaginaires de ces incontournables composantes de la condition humaine afin de pouvoir penser et élaborer, en un mot : grandir. »

Le sixième chapitre : La violence littéraire comme alternative à la violence agie où Annie Rolland montre que la violence de mort et la violence de vie existent mais que la différence est dans le langage : « Les accusations qui visent la littérature de jeunesse ne sont pas recevables en tant que les écrivains et les éditeurs ont déjà fait leur travail de censeurs et d’auto-censeurs. Les principaux axes de cette censure sont la qualité littérataire des textes et le respect moral dû aux lecteurs, quels que soient son âge et sa condition. »
« Jeanne Benameur affirme : Un livre, on le veut, on le prend, on n’en veut pas, on le ferme. C’est également l’avis des adolescents lecteurs. »
« L’adolescence est souvent le théâtre d’une violence de mort, la littérature pour adolescents est une violence de vie. »

Beaucoup de réflexions, d’analyses, de références de livres et d’auteurs pour parler de cette période de transition qu’est l’adolescence et pour montrer le rôle essentiel de la littérature qui va aider les jeunes à se construire pour aborder au mieux l’âge adulte. Tous les intervenants auprès d’adolescents, qui parfois peuvent être déroutants par leurs attitudes, leurs comportements, leur violence, seront intéressés par cette approche très pertinente qui leur donnera aussi de nombreuses pistes de lecture.

Brigitte Aubonnet 
(11/12/08)    



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Editions Thierry Magnier
238 pages - 17 €