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Marie-Sabine ROGER

La tête en friche



Germain, 45 ans « un mètre quatre-vingt-neuf sous la toise, le reste à l'avenant » a tout d'un homme ordinaire : des copains, une petite amie, des petits boulots. Mais voilà, notre homme, très habile de ses mains qui excelle à tailler le bois avec son Opinel, a "la tête en friche". Lui-même reconnaît qu'« il est assez intelligent pour voir à quel point il est bête ». Cet illettré vit de peu, logé dans une caravane au fond du jardin de sa mère. Sa relation avec celle-ci est distante et compliquée. Avec elle « rien n'était possible ». « Ma mère et moi, on ne discute pas des masses. On s'évite. (...) Elle ne fait pas du tout ses soixante-trois ans. Elle fait plus. C'est la solitude. » Toute son enfance, il a manqué d'affection entre cette mère célibataire qui lui a fait payer son exclusion familiale et sociale, ce père inconnu « juste là en tant qu'origine » et le maître d'école qui le considérait comme un abruti et prenait plaisir à l'humilier.

Aujourd'hui, celui qui raconte au bistrot « Quand j'étais mouflet, mon rêve d'avenir pour plus tard, c'était pas de porter des parpaings, ni de décharger des palettes ou des pneus de camions. (...) Moi, à part cette intime vocation de – vitrailleur – je voulais être indien d'Amazonie. », survit au jour le jour comme bête de somme, se méfiant des mots et des gens cultivés, des sentiments et des autres. Ses loisirs consistent à cultiver ses légumes, à retrouver Marco, Julien, Youss et Landremont au bistrot de Francine et à s’amuser à compter les pigeons du parc. Régulièrement aussi, au grand déplaisir de la mairie, il ajoute son nom au bas de la liste gravée dans la pierre du monument au mort.

Un jour, au jardin public, Margueritte, « docteur qui a fait des études de pépins de raisins », femme sans enfant de 86 ans qui s'échappe souvent de sa maison de retraite pour observer les volatiles, occupe sa place sur le banc. Il en est agacé mais la vieille dame réservée et cultivée mais "pas fière", lie connaissance. Très vite, sa fragilité l'émeut et son originalité l'amuse. Il suffit de quelques jours pour qu'une vraie complicité se tisse entre eux. « Au début je trouvais Margueritte marrante. Et instructive aussi, du point de vue de la conversation. Et petit à petit, je me suis attaché à elle, par surprise. »

Auprès d’elle c'est un autre monde, celui des mots et des livres, que Germain, piégé par tant de douceur et fasciné par ces horizons nouveaux qui s'ouvrent à lui, va découvrir. Elle lui fait la lecture à voix haute et l'embarque à ses côtés dans La peste de Camus, La promesse de l'aube de Romain Gary ou Sepulveda. Elle lui offre aussi un dictionnaire pour "voyager" et retrouver les mots. « Les vieux ne s'amusent pas comme nous, je vous jure ! »

De lecture en lecture, c'est le pouvoir des livres qu'il explore et sa vie en est bouleversée. « Lorsque j'ai rencontré Margueritte, j'ai trouvé ça compliqué, d'apprendre le savoir. Ensuite, intéressant. Et puis flippant, parce que, se mettre à réfléchir, ça revient à donner des lunettes à un myope. » Il va peu à peu changer, réfléchir d'avantage, penser autrement à sa mère, à ses potes de boisson, à son père inconnu et réapprendre en cachette à lire. Avec sa copine Annette, maintenant il "fait l'amour" au lieu de "baiser" et serait presque attendri à l'idée de la voir enceinte. Même ses conversations de comptoir prennent une autre tournure et ses copains s'interrogent sur cette subite métamorphose.
Quand la vieillesse s'en prendra à la vue de Margueritte, Germain, attentif, saura accompagner à son tour cette mère d'adoption dans ses voyages littéraires.

L'histoire est d'autant plus belle que le rapprochement entre Germain, être brut, sans éducation, pétri de bon sens et d'appétit de vivre que le destin a mis en marge, et de Margueritte, intellectuelle curieuse et passionnée que l'âge a exclue de la vie active, est fort improbable. Or, la rencontre fonctionne et c'est son incongruité même qui suscite l'intérêt du lecteur et donne au roman tout son relief. On y croit et on s'attache vite à ce couple inattendu, percutant et débordant de tendresse.

Au fil des pages, Germain, narrateur naïf au parler nature, nous restitue la petite vie des gens ordinaires dans sa vraie dignité et sa richesse. Les portraits des personnages qui gravitent autour des deux protagonistes principaux, comme la mère, la petite copine ou les copains de bar, sont hauts en couleurs, justes et même souvent assez drôles.

L'hymne à la lecture sous forme de ballade au fil des œuvres, laisse plus la place au plaisir partagé qu'à l'érudition et s'en trouve d'autant plus jouissif et revigorant.

Le lecteur passe d'un court récit (rarement plus de quelques pages) à l'autre, porté par un rythme vif et une écriture très oralisée, simple, imagée et expressive, sans que son intérêt ne flanche à aucun instant. On se laisse entraîner, sourit, s'émeut et se régale.
Un bon roman de rentrée, plein de santé et d'humour, sensible et intelligent.

Dominique Baillon-Lalande 
(05/09/08)    



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Editions du Rouergue

Collection La Brune
218 pages - 16,50 €



Adaptation au cinéma
par Jean Becker
avec Gisèle Casadesus
et Gérard Depardieu
(sortie : 2 juin 2010)



Marie-Sabine Roger,

née en 1957, vit près de Nîmes. Après avoir été enseignante en maternelle pendant plusieurs années, elle se consacre aujourd'hui à l'écriture. Elle est l'auteur de plusieurs dizaines de livres pour les enfants, les adolescents et les adultes.



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