Mario Rigoni Stern est né en 1921 sur le haut plateau d’Asiago, dans les Dolomites italiennes, dans un village où les paysans vivent en harmonie avec leur terre, leur montagne, son climat rude et pratiquent la solidarité active.

Dès l’enfance l’auteur aime la montagne, au point de devenir chasseur alpin. C’est en tant que chasseur alpin de l’Italie fasciste qu’il combat en Albanie puis en Russie. Il écrit en 1953 Le Sergent dans la neige où il raconte le grand froid qui a tué ou blessé tant de soldats italiens. Quand l’Italie rejoint les alliés, il se trouve interné en camp de concentration (Le vin de la vie).

A son retour, il retrouve sa montagne où il se plait à observer et à comprendre la vie animale et végétale. C’est cette connivence qu’il nous fait partager dans Saisons et dans d’autres récits tels que Arbres en liberté ou Le livre des animaux ou encore Hommes, bois, abeilles. Mais dans son évocation des saisons, Rigoni Stern juxtapose, entrecroise des épisodes, des souvenirs qui viennent de la guerre. Tout comme dans ses récits de la guerre ou des camps se mêlent des scènes de chasse, d’animaux, une présence de la nature qui est rarement hostile. Sa vie et son œuvre sont un entremêlement de ces deux pôles en apparence contradictoires mais qui sous sa plume donnent une cohérence à sa vie. Sa relation à la montagne lui a donné la sérénité qui a peut-être manqué à Primo Lévi, proche de Rigoni Stern et à qui il consacre de très beaux textes (Pour Primo Lévi, La fosse aux ours, 2007).

« Qu’il me revenait souvent le souvenir de cette cabane du Köbele, quand j’étais dans les montagnes d’Albanie pendant l’hiver de 1940, puis dans la neige de Russie et dans la misère des camps ! Après mon retour, les dimanches d’octobre, je montais là-haut en chasseur solitaire de lagopèdes alpins et, un jour, je voulus passer par le cabanon du jeune berger. Je ne vis plus que des poutres à moitié brûlées et des pierres noircies…C’était arrivé deux ans auparavant, en juin 1944. Un détachement de partisans avait trouvé refuge là-haut et pendant un ratissage, la brigade fasciste avait brûlé le cabanon. »

« Quand, dans les endroits ensoleillés, les mélèzes fleurissent et se couvrent de chatons jaunes et rouge vif, c’est l’époque du Tetrao urogallus, notre grand tétras…il quitte sa branche d’un vol plané et, au milieu de la clairière toute illuminée, il se montre dans sa pleine beauté : il gonfle ses plumes, redresse la tête, fait la roue en glapissant, tourné vers le ciel ; il marque le sol en déployant ses ailes, ouvre sa queue à laquelle le soleil levant donne des reflets changeants, et son chant, semblable au bruit d’une pierre à aiguiser sur une faux, emplit l’univers… Une année, après l’époque des amours, la guerre passa par là. C’était en mai. Les femelles des grands tétras avaient déjà déposé leurs œufs dans le sous-bois parmi les myrtilles et les rhododendrons. Les mélèzes étaient en fleurs et le pollen de la forêt se posait sur les arbustes comme une poussière dorée. Alors trois éclairs très intenses, suivis de trois explosions d’une extrême violence firent trembler la terre, et secouèrent les arbres… Survint un déluge d’obus, de coups de fusil, de tirs à la mitrailleuse ; cris et flammes violèrent cette forêt et les nids furent abandonnés.»

Rigoni Stern fait référence ici à mai 1916 : l’armée autrichienne a ravagé ce plateau pour châtier l’Italie d’avoir rejoint les Alliés. La montagne est pleine de cicatrices de ce premier conflit que Rigoni Stern n’a pas connu mais dont il est un passeur de mémoire collective.

Lire du Rigoni Stern ne laisse pas indifférent. Il fait partie des auteurs dont la fréquentation transforme ; il nous aide à aiguiser nos sens, à comprendre les traces laissés par les animaux invisibles, à ressentir l’harmonie de la nature et la place que l’homme peut y trouver dans le respect des autres espèces vivantes. Il nous aide à réconcilier l’homme avec la nature et avec lui-même.

Nadine Dutier 
(13/12/08)