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Isabelle RENAUD


Arts Ménagers



Les treize nouvelles qui composent ce recueil s’articulent toutes autour d’un objet de la maison :
Un couple, une enfant sur la plage et une alliance qui glisse sur le doigt (L'alliance)
Un fauteuil luxueux qui ne trouve pas sa place dans le salon du petit appartement de Soledad et Simon (Le fauteuil)
Une vieille poupée de porcelaine décatie et d'une propreté douteuse, trouvée dans un placard par une petite fille lors d’un emménagement (La poupée)
Les photos de la résidence à Eze-sur-mer des retraités avec piscine et sauna dignes de l'image glacée du bonheur des dépliants publicitaires lors d'une réunion de famille, face à celle des fantômes qui hantent les silences (Sauna)
Une couette à petites fleurs remise par erreur par la blanchisserie qui redonne de la tendresse à la nuit d'une femme qui doute (La couette)
Une fête d'anniversaire d'enfants animée par des "fées" au rabais où la petite Louise, trouée d'angoisses, est sauvée par une part de cake au chocolat (Le gâteau)
Un repas dominical amical dans le jardin de bord de Seine de la maison nouvellement acquise par un couple, troublé par une bêche et un problème de plantation (Les cerisiers)
Des parents avec leur bébé en visite chez un le grand-père, vieil instituteur autoritaire aujourd'hui gâteux qui, pour exister encore, prend prétexte d'un chauffe-eau pour empêcher son monde de dormir (Le chauffe eau)
Une jeune chanteuse avec son premier CD tout frais dans la poche lors d'une visite à l'ex-gardien de son appartement (Le magnétophone)
Un jeune et brillant étudiant empêtré dans des relations sentimentales complexes et des goûts picturaux confirmés (Le chromo)
Une vieille photo de couple oubliée sur un lit, une mère évaporée et un fils venu avec femme et enfant voir son père à l'hôpital (L'album)
Des livres et des crayons, un frère et une sœur, Gaspard le poète et Bérénice la dessinatrice, fuyant l'exploitation agricole familiale pour une vie d'étudiant commune à Paris (Le stylet)
La remise à neuf de l'appartement d'une jeune veuve (Le plancher).

Ces objets mis en lumière, ces petits riens nichés dans un quotidien banal, jouent ici les révélateurs ou catalyseurs de sentiments. S'introduisant dans l'espace intime pour en miner l'équilibre et la quiétude apparentes, ils provoquent chez les protagonistes des réactions, surprenantes ou libératrices, leur servant de support pour comprendre, avancer, ou simplement exprimer autrement les sentiments contradictoires qui les agitent. Ils se font matériaux pour de petites tranches de vie, instantanés croqués sur le vif du couple et de la famille avec ses espoirs, la tendresse, les rancœurs, les doutes, les petits bonheurs et les peurs, la vieillesse ou le deuil.
A travers eux dans des moments apparemment simples où pourtant des vies se jouent en coulisse, se dévoile le jeu des tensions emprisonnées au plus profond des personnages.

« Quelque chose se passe. »

Isabelle Renaud, s'appuie sur des objets pour exprimer le manque qu’ils comblent, la violence qu’ils absorbent, le désir qu’ils réveillent, pour dire l'être qui se trouve dans leur ombre. Derrière chaque objet réel se cache quelque chose ou quelqu'un à aimer, à oublier ou à haïr. L'objet que l'on expose au regard de l’autre ou englouti dans un placard, se nourrit de fantasmes, Mais les choses aussi échappent, étouffent, trahissent.

« – Mais non, il n'est pas mort ! Pas mort ! Pas mort du tout ! – Les cris n'avaient rien ébranlé. Ni les murs ni la réalité. La moquette les avait assourdis. Elle les avait retenus patiemment dans ses mailles, dans ses laines serrées. »

Les personnages se trouvent tous à un moment de rupture, au seuil d'un nouveau départ et ce sont ces angoisses, ces failles, ces espoirs que l'auteur fouille intensément de son regard. Mais, commentaire ou interprétation sont pudiquement évités pour laisser au lecteur la liberté de prendre sa place : simple observateur clinique ou parfois si proche de celui qui se révèle. Selon. Seule constante reliant les nouvelles entre elles, une certaine difficulté d'être, d'aimer, une inadéquation ou un questionnement face à la société actuelle qui suintent chez ces êtres toujours un peu perdus. Mais aussi, en filigrane, souvent, la tendresse et le désir de vivre chevillés au corps.

« Il ne lui montrait pas la mer, il la lui offrait ! Un présent exclusif, pour aujourd'hui et pour toujours. »

Les décors, intérieurs ou paysages, se transforment en écrins signifiants et les personnages qui ont tous de l'épaisseur, s'en nourrissent pour exister.
L'esquisse des personnages ordinaires immergés dans leur quotidien n'est ici jamais caricaturale, mais au contraire sensible, respectueuse, curieuse, tendre ou mélancolique et sachant toujours fouiller les apparences banales pour y trouver l'humain.

L'écriture simple et précise, jouant l'air de rien sur de menus détails qui en disent bien plus qu'ils n'en auraient l'air à priori, est parfaitement maitrisée, agréable et efficace.
Il y a beaucoup d’intelligence et de sensibilité dans ces modestes histoires en demi-teintes où il faut entrer de plain-pied, sans réserve, pour en extraire toute la force. Un premier recueil prometteur.

Dominique Baillon-Lalande 
(09/08/10)    



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Editions Quadrature

112 pages - 15 €