Terry PRATCHETT

TIMBRÉ



Avec Timbré, dernier volume paru des Annales du Disque-Monde, le lecteur retrouve un univers fantastique où l’on croise morts-vivants, loups-garous, trolls, Nains et vampires à chaque coin de rue, et où la magie fait partie de la vie courante. Ici, un rôle important est dévolu aux golems, créatures de céramique quasi indestructibles qui occupent des fonctions diverses, dont celle d’agent de libération conditionnelle, et un grand forban de la finance utilise comme tueur à gages un banshee. Cependant, comme dans Le Régiment monstrueux, Terry Pratchett introduit dans sa fantasy des allusions transparentes au monde dans lequel nous vivons, et se livre cette fois à une satire féroce du capitalisme sauvage.

La cité d’Ankh-Morpok est le siège d’une compagnie de télécommunication qui fonctionne grâce à un système de sémaphores, ou « tours clic-clac », et qui relie les points les plus éloignés du Disque-Monde. A l’origine, cette compagnie a été mise sur pieds par des ingénieurs idéalistes et passionnés, mais ils en ont été dépouillés par des manœuvres plus ou moins frauduleuses, et elle appartient désormais à un groupe de financiers sans scrupules qui n’ont d’autre but que le profit à court terme : ils ont donc réduit le personnel, dont la sécurité n’est plus assurée, et rognent autant qu’ils le peuvent sur l’entretien des tours ; de là des pannes fréquentes, et un service de moins en moins satisfaisant, tandis que les propriétaires accumulent les malversations et ne reculent devant rien, pas même le crime, pour décourager toute entreprise concurrente. Le seigneur Vétérini, qui dirige Ankh-Morpok, décide alors, pour faire pièce à la compagnie, de ressusciter un service postal tombé en désuétude depuis longtemps. Il place à sa tête, avec le titre de ministre, un escroc professionnel aux identités multiples, Moite von Lipwig, qu’il a sauvé in extremis de la pendaison. Après avoir vainement tenté d’échapper à ses nouvelles fonctions, ce dernier se prend au jeu et réussit au-delà de toute espérance. Au fil de péripéties jubilatoires – il invente en particulier le timbre, qui remporte aussitôt un succès considérable – Moite parvient à rétablir la Poste dans son faste ancien et à abattre les profiteurs de la compagnie interurbaine, dont Vétérini pourra prendre possession au nom de la cité pour la transformer en service public.

Outre l’intérêt d’un récit mené par un conteur exceptionnel et la présence toujours réjouissante du burlesque, le livre offre une peinture très réaliste, sur le plan économique et financier, des agissements auxquels se livrent les responsables de la compagnie. Il met aussi en relief des personnages d’une réelle complexité psychologique, comme Moite von Lipwig : brillant, talentueux, apparemment dépourvu de tout scrupule, celui-ci est avant tout un joueur qui se plaît à interpréter des rôles multiples, à parier sur l’impossible et à lancer des défis démesurés ; il a le goût de se mettre en scène, sait à merveille donner au peuple d’Ankh-Morpok le spectacle dont il est friand et utiliser cette caisse de résonance que constitue la presse : il a le génie de la publicité. Mais, peu à peu, ce comédien se prend à s’identifier totalement, jusqu’à en être profondément modifié, au personnage de redresseur de torts et de champion de la justice qu’il endosse. Quant au seigneur Vétérini, c’est une vieille connaissance dont Terry Pratchett approfondit le portrait de livre en livre : cynique, retors, toujours occupé à tirer dans l’ombre les fils de machinations complexes qui lui permettent d’assurer son pouvoir et d’autant plus redoutable et redouté qu’il affecte une politesse exquise, cet homme qui a fait son apprentissage à la Guilde des Assassins et qui pourrait être un disciple de Machiavel a le sens du bien public et met son intelligence au service de la cité. En pariant sur von Lipwig, qui n’est au départ qu’un petit escroc, il fait preuve d’une connaissance des hommes et d’un sens politique exceptionnels.

Une fois de plus, Terry Pratchett poursuit l’élaboration d’un univers de plus en plus complexe, qui entre de plus en plus nettement en correspondance avec la société contemporaine.

Sylvie Huguet 
(22/07/08)    



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Editions L'Atalante
473 pages - 20 €


Traduit de l'anglais par Patrick Couton


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