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Jean-Bernard POUY

La récup'



Antoine dit Loulou, ex-cambrioleur spécialiste des mécanismes de fermeture, reconverti après un séjour en prison dans les clefs et les serrures anciennes, travaille aujourd'hui dans son modeste atelier à restaurer des pièces uniques pour les musées et les collectionneurs. Passionné par son métier, il mène une vie tranquille. Enfin, presque.

Pour se payer le tour de façonnage sophistiqué dont il a besoin pour façonner une pièce introuvable, il finit par replonger "juste une fois" pour une modeste mission apparemment sans risque. Le casse se passe pour le mieux, coffre-fort ouvert sans difficultés, professionnels bien rancardés apparemment satisfaits de ce qu'ils y ont trouvé, des œuvres d'art probablement. Mais les choses se gâtent quand il réclame les 10 000 € prévus au contrat. Travail trop facile et réduction du tarif à 1000 € lui dit-on. Il proteste avec véhémence, se récupère une raclée magistrale, et sera retrouvé, par miracle, drogué et laissé pour mort sur le quai d’une gare de grande banlieue.

Antoine, furieux de s'être fait roulé mais conscient que le rapport de force n'est pas à son avantage, dépité, choqué, va passer sa convalescence en Bretagne chez un ami. Quand un soir il y visionne avec lui Point Blank de John Boorman, le héros, qui n'est pas du genre à se laisser impunément marcher sur les pieds, réveille ses ardeurs anesthésiées par la déprime. Refusant le rôle de celui qui se fait pigeonner sans rien dire, il décide alors qu'il est temps de se battre pour récupérer son dû.

C'est à partir du manoir cambriolé qu'il remontera patiemment la piste jusqu'à la mafia russe. A des personnalités politiques, aussi. Pas bien taillé pour affronter ce beau monde, Antoine. On n'est pas au cinéma et il n'est pas Lee Marvin. Heureusement pour lui, en face, l'adversaire aura du mal à admettre que le type qui lui pourrit la vie n’est qu’un ridicule petit serrurier en quête d’un remboursement minable et celui-ci a plus d'un tour dans son sac.

« – Mais t'as vu comment t'es gaulé ? Une punaise sous le pouce d'un Russkof !
– Justement il ne faut pas les prendre sur ce terrain, les Cosaques, il faut être plus intelligent qu'eux, c'est ça ma chance.
– Mais t'es tout seul face à une véritable armée !
– Je suis seul mais je suis libre. Ni Dieu, ni maître. Personne à protéger.
– Mais en face c'est le pouvoir !
– Justement, ils sont aveuglés par leur puissance.
– Mais c'est eux qui ont le fric !
– Justement, ils ont beaucoup à perdre ; moi, j'ai tout à gagner.
– Mais l'histoire de David contre Goliath, c'est du mythe, c'est pour faire croire au petit peuple que...
– Mais Lee Marvin, lui, ça a l'air vrai.
– T'as aucune chance !
– Pas sûr. J'ai la morale pour moi, l'éthique.
– Tu vas pas me dire que...
– Si. Justement.
»

L'intrigue est banale, ouvertement inspirée d'une série B d'ailleurs citée par l'auteur. Lee Marvin servira de modèle au personnage. Dans ce film, une victime de la mafia décide, contre toute raison, d'obtenir à tout prix réparation, même si ses chances d'y parvenir vu la puissance de l'ennemi semblent quasi nulles. Loulou fera de même. Ce petit artisan naïf mais malin et déterminé appartient, sous son apparence de looser, à la famille des francs-tireurs qui, se retrouvant face à des adversaires beaucoup plus forts que lui, se permet toute les audaces. Persuadé de la légitimité de sa démarche, cet antihéros plus vrai que nature et attachant en diable, endosse comme le ferait un môme sa cape de super héros pour punir les méchant et récupérer son trésor. « Même pas peur ».
L' occasion aussi pour Jean-Bernard Pouy de nous rejouer avec humour la fable du pot de terre contre le pot de fer sur fond de France d'aujourd'hui avec ses riches politiciens, industriels et mafieux d'un côté, et les petites gens en galère de l'autre.

Comme d'habitude Jean-Bernard Pouy est un raconteur d'histoires hors pair qui parvient avec une facilité insolente à nous embarquer avec bonheur dans son récit. Il prend autant de plaisir à jongler avec les mots, les images et jouer de la syntaxe qu'Antoine à taquiner et faire parler les serrures. Efficace et plein d'humour.
« Sur la place de la République, les derniers manifestants s'ébranlaient. Une armada de véhicules verts pomme s'est mise en route pour le nettoyage du boulevard. Ne pas laisser de traces. »
« Je repartais chez Maria qui, invariablement, m'attendait pour un de ses sports favoris, une partie de Nain Jaune. (...) Pourquoi le nain était-il jaune ?(...) Aucune connotation de style asiatique, bien sûr à ce jaune, aucune signification péjorative de briseur de grève, pas d'allusion au pastis ni aux ictères chocolatés. Peut-être que ce qu'on y gagnait avait la couleur de l'or ou du soleil. Dans notre temps politiquement correct, ce jeu enfantin avait disparu ; on ne pouvait pas dire : ça te dirait une partie de Personne de petite taille couleur safran ? Le résultat de ces cogitations était toujours le même. Moi aussi, j'étais un nain. Au beau milieu d'une histoire incompréhensible. Tendant de ramasser. En pure perte. »

On retrouve aussi au cœur de l'action les digressions chères à l'auteur sur le cinéma, la peinture, la musique, les bistrots... Une marque de fabrique. Un plaisir supplémentaire pour le lecteur.
Un roman sans prétention mais plein de références, intelligent, généreux, drôle, rythmé, parfaitement maitrisé, brillant, dont la liberté de ton et l'aspect jubilatoire sont terriblement communicatifs.
Un vrai bonheur de lecture.

Dominique Baillon-Lalande 
(23/03/10)    



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Noir & polar








Points Seuil
Roman Noir
224 pages - 6,50 €






Jean-Bernard Pouy,
né en 1946 à Paris, auteur de romans noirs, de nouvelles et de pièces de théâtre, est aussi le créateur du célèbre personnage Le Poulpe et le directeur de la collection Suite Noire
aux éditions La Branche.