Yann de l’ECOTAIS

Les mémoires de Porthos



Le livre de Yann de l’Ecotais ravira tous ceux qui, des Trois mousquetaires au Vicomte de Bragelonne, se sont passionnés pour les aventures de d’Artagnan et de ses trois amis. Ils les retrouveront ici, sous un éclairage inédit puisqu’elles sont racontées par Porthos en personne. L’épisode des ferrets, la défense du bastion Saint-Gervais, l’exécution de Milady, la Fronde, la mort de Charles d’Angleterre, la conspiration d’Aramis visant à mettre sur le trône le frère jumeau de Louis XIV, tout revit sous la plume de l’ancien mousquetaire qui se révèle beaucoup moins naïf que Dumas ne l’avait laissé croire. Lucide et plein d’un bon sens qui manque souvent à ses compagnons, Porthos jette sur eux un regard affectueux mais d’une acuité très vive, notant l’égoïsme et le forfanterie de d’Artagnan, l’absence totale d’humour qui caractérise Athos, l’esprit tortueux et la dissimulation d’Aramis.

Vue par lui, la première apparition du jeune Gascon ne manque pas de piquant : « Je me trouvais au bas de l’escalier (…) quand déboula dans notre groupe, après avoir rebondi de marche en marche depuis le premier étage, un très jeune homme de taille moyenne, maigre comme une bique, au teint basané, le nez en cimeterre, coupant et recourbé, coiffé d’un curieux béret à plume, une longue et lourde épée entravant ses enjambées. Il hurlait quelque chose comme « C’est lui ! C’est lui ! Mon voleur ! », en fixant du regard un mouvement de capes qui se produisait vers l’entrée de l’hôtel de Tréville. » On sait que la rencontre aboutit à une provocation en duel, et le récit continue sur le même ton : «  Le poulet était bien jeune pour se faire déjà embrocher, mais les usages restent les usages. Son plumage d’ailleurs n’était ni très épais ni d’excellente qualité. Le pourpoint qu’il portait avait connu des jours meilleurs, les dentelles de son col manquaient de fraîcheur. N’eût été son arrogance insupportable, j’avais plutôt la désagréable impression de me préparer à un duel avec un échappé de l’orphelinat. »

Outre la redécouverte d’épisodes que le lecteur connaît déjà, Les Mémoires de Porthos offrent quelques révélations : ainsi, le narrateur nous apprend qu’après avoir quitté le corps des mousquetaires, il fut quelque temps agent secret au service de Richelieu. Il nous révèle aussi l’existence d’une fille naturelle, conçue lors du repos forcé qu’il a dû prendre dans une auberge après avoir été blessé sur la route d’Angleterre, pendant l’épisode des ferrets. Cette fille, reconnue après coup, devient la baronne Louise du Vallon de Bracieux de Pierrefonds, jeune femme d’une grande beauté, aussi spirituelle qu’habile escrimeuse, bientôt suivante de Madame de Longueville et maîtresse du Grand Condé. Enfin, le livre en dit plus que Dumas sur la vie amoureuse de Porthos, et plus particulièrement sur ses relations avec Madame Coquenard, l’épouse de procureur déjà mûre que le mousquetaire épousera après son veuvage et dont la fortune lui permettra de racheter les terres de sa famille et de mener la vie d’un gentilhomme campagnard.

Comme la trilogie de Dumas, Les mémoires de Porthos sont aussi un hymne à l’amitié. On se rappelle l’épisode où, se retrouvant dans des partis opposés, les uns au service de Mazarin, les autres du côté des Frondeurs, les quatre anciens mousquetaires, sur le point de s’affronter, jurent solennellement, à l’initiative d’Athos, de faire passer cette amitié avant leurs allégeances respectives. Cet épisode revit ici avec une émotion intacte : « Les épées, dont la mienne , jaillirent brutalement. Athos, qui avait gardé le silence, saisit sa propre lame et la brisa sur son genou. Tourné vers Aramis, il dit :
- Aramis, brisez votre épée. Je le veux, ajouta-t-il d’une voix douce.
Frémissant comme un pur-sang sous l’éperon, l’ancien mousquetaire obtempéra. Je rangeai ma lame.
- Jamais, dit Athos, jamais, je le jure devant Dieu, jamais mon épée ne touchera les vôtres, jamais mon cœur n’aura à votre égard un battement de haine. Nous avons vécu côte à côte pendant des années, nous avons versé et confondu notre sang, nous avons condamné et exécuté un être humain. Qu’est-ce qu’un homme comme Mazarin, quand nous avons forcé la main et le cœur de Richelieu ? Qu’est-ce que tel ou tel prince pour nous qui avons consolidé la couronne d’une reine ? D’Artagan, je vous demande pardon d’avoir l’autre nuit croisé le fer avec vous. Et vous Aramis, dites la même chose à Porthos.
- Je regrette d’avoir touché votre épée me murmura Aramis, après avoir péniblement dégluti. Je n’aurai pas de sentiment hostile envers vous, jamais.
Au lieu de nous séparer, nous tombâmes dans les bras les uns des autres, nous couvrant de déclarations d’amitié éternelle, et je crois que j’y allai d’une petite larme. 
»

Après avoir achevé le livre de Yann de l’Ecotais, le lecteur s’attriste d’abandonner les quatre héros, comme il s’est attristé autrefois en lisant les dernières lignes du Vicomte de Bragelonne. Lui donner envie de se replonger dans la trilogie des Mousquetaires n’est pas le moindre mérite de ce roman, plein, à l’image de son narrateur, d’énergie et de joie de vivre, qui atteste la grande familiarité de son auteur avec les chefs-d’œuvre de Dumas.

Sylvie Huguet 
(01/08/06)    



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Editions Plon
354 pages
20 €