Gilda PIERSANTI

Bleu catacombes



Telle une incongruité, le titre associe le bleu cru d'un été romain caniculaire à un réseau souterrain où devrait plutôt sévir le brunâtre de la terre humide et le blanc sale des os vieillis là depuis des siècles... Cela sent le décalage annoncé - mais n'anticipons pas : le premier chapitre jette l'hameçon d'une macabre intrigue comme le font la plupart des polars, en offrant au lecteur un cadavre - enfin, un morceau de cadavre : une tête fraîchement tranchée placée dans un curieux panier.
Et là où l'on attend, en guise de suite, le déploiement d'une escouade de policiers scientifiques armés de leurs appareils photo et de leurs ustensiles à prélèvements, l'on a droit à une petite remontée en arrière : comme dans un bon vieil épisode de Columbo, l'on assiste au crime, dans toute la lenteur de son rituel effroyable, et l'on voit qui tue, qui est tué.
L'on se croit alors détenteur de la clef, n'ayant plus qu'à suivre paisiblement la fameuse partie d'échecs qui va opposer le(s) coupable(s) au sagace inspecteur principal Mariella De Luca. Mais le roman va plus loin que cela...

Comme dans un polar classique, les enquêteurs recherchent des empreintes et l'arme du crime, lisent les rapports du médecin légiste, interrogent des témoins puis confrontent leurs trouvailles pour dresser moult hypothèses qui seront autant de pistes à vérifier.
Comme dans une satire, certains personnages, la veuve Fegiz et son beau gigolo par exemple, sont affublés de caractéristiques ou de comportements caricaturaux - toujours nuancés cependant : chacun conserve les atouts nécessaires pour émouvoir le lecteur au moment opportun - et le comique de texte s'invite à plusieurs reprises, égratignant Untel ou tel Autre d'une remarque lapidaire et bien sentie. Comme dans un épouvantable mélodrame, on trouve des personnages au passé douloureux, des orphelines, un fils disparu, une mère paralysée et recluse dans son silence, des plaies intérieures béantes soigneusement tenues au secret et dissimulées par des attitudes passant pour autant de bizarreries.
Comme dans une fiction underground couleur trash l'intrigue porte en son cœur un artiste extravagant qui, à l'aube de sa carrière, s'est adonné à l'une de ces performances où les pires perversions se parent de la noble appellation d'œuvre d'art sous couvert de bousculer les préjugés, usurpant ainsi à bon compte une légitimité douteuse.
Comme dans une comédie sentimentale, l'on est convié à épier les petits aléas de la relation que l'inspecteur De Luca entretient avec le séduisant archéologue Paolo Ronca.

En guise de liant à tout cela, le schéma du polar est respecté, pimenté de surcroît par quelques pincées conséquentes d'ingrédients propres au thriller horrifique... Pourtant, Bleu catacombes n'a rien d'une vague synthèse de genres, et n'est pas non plus le pastiche que l'on pourrait soupçonner en réalisant combien certains codes sont bousculés et en éprouvant, aussi, la manière habile dont l'humour est instillé dans le récit. A titre d'exemple de cet humour qui de-ci de-là traverse le roman, fleurissant entre autres dans les dialogues dont certaines répliques ne sont pas sans évoquer ces comédies policières alla francese des années 70 où l'on cultivait les drôleries pince-sans-rire, on retiendra ce petit bout de conversation entre Paolo et Mariella, qui discutent de l'affaire et évoquent Lidia Fegiz, transférée à la clinique pour se reposer après qu'elle s'est évanouie à l'annonce de la mort de son mari.
Mariella s'interroge :
- [...] Se reposer de quoi, je me le demande : sa vie s'est résumée jusqu'ici à commander des Darjeeling à sa bonne et à chercher à joindre son mari sur son portable.
A quoi Paolo répond :
- Tu pourrais avoir un peu pitié d'elle, maintenant, il ne lui reste plus que le thé.
Et Mariella de renchérir :
- Et la fortune de Massimiliano Fegiz.
Ce roman échappe, décidément, à tout effort de classification...

Au mélange générique répond une langue claire et simple sans être sommaire ; elle se coule avec une belle souplesse dans tous les registres mis en œuvre et ne laisse jamais la fâcheuse impression de hiatus qui survient lorsque les ruptures de ton sont trop brutales ou mal appropriées. L'on glisse, ici, de la comédie au tragique, du futile à l'émouvant sans s'en rendre compte - les nuances sont toujours opportunément créées, l'on est toujours dans le juste climat.
Un climat qui change sans cesse au cours du récit : l'on baigne tantôt dans l'horrible le plus terrifiant - gore pur et dur de la scène de décapitation ou des passages décrivant l'état des têtes et des corps lors de leur découverte, le sordide de la pornographie morbide affichée par l'installation imaginée puis filmée par Massimiliano Fegiz et dont aucun détail n'est tu - tantôt dans la farce satirique - l'écriture alors devient grinçante - en passant par la sentimentalité, le sensationnel mélodramatique ou encore la tendresse pudique - à cet égard, la scène où Mariella assiste son père mourant est d'une infinie subtilité, teintée d'une poésie bouleversante :
Mariella était heureuse d'être venue. Cette douleur inattendue qui s'était amplifiée, puis adoucie dans la compassion et la tristesse, lui paraissait maintenant précieuse. C'était comme si dans cette main qu'elle gardait dans la sienne, dans ces mots qui sortaient d'un attachement enfoui, elle retrouvait non seulement son père, mais aussi sa mère, son autre père et toute sa petite famille d'êtres chers. Morts ou vivants.

Un tel brassage de genres et de tons, pour improbable qu'il soit, est ici parfaitement maîtrisé : c'est une harmonie d'ensemble qui triomphe et l'on achève sa lecture ferré par les personnages autant que par l'intrigue, en se demandant, après avoir frémi des perversions auxquelles on a été confronté, comment diable Mariella va se tirer de ce fameux dîner chez la mère de Paolo - toute une affaire ce dîner, qui n'a plus rien de policier mais n'en est pas moins grave aux yeux de la jeune inspectrice principale...
Ce roman à l'indéfinissable couleur - nonobstant le bleu franc du titre - déjoue sans les tromper tout à fait les attentes des inconditionnels du polar comme celles des amateurs de thriller horrifique, de comédies policières ou de pastiches grinçants. Un ultime élément de surprise va même se glisser jusque dans la mise en page : voyez donc ce qui se passe là où, d'ordinaire, file le titre courant...

Isabelle Roche 
(17/01/07)    



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Noir & polar







Le Passage éditions
256 pages, 17 €














Bleu catacombes est le troisième volet d'une tétralogie initiée avec Rouge abattoir, poursuivie avec
Vert Palatino, et qui s'achèvera, en 2008, dans les blondeurs
du Tibre...











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