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Laurent ALBARRACIN

Pierre Peuchmaurd



Les Editions des Vanneaux par le biais de Laurent Albarracin nous offrent là un magnifique ouvrage pour qui veut découvrir l'univers poétique de Pierre Peuchmaurd. La présentation, le choix des textes, les entretiens et les témoignages, soulignent à juste titre l'importance de ce poète prématurément disparu en avril 2009. Les poèmes sont donnés dans l'ordre chronologique de leur parution en livres ou plaquettes. Cela permet de suivre une trajectoire ou des traces d'incendie – lui qui n'a jamais compté l'or et le temps – où sera privilégiée la foudre plutôt que le lendemain de foudre.

Pierre Peuchmaurd se souciait peu de son image et de ce que l'on pourrait appeler son installation dans le paysage poétique. Quel besoin de s'asseoir, de figurer dans une quelconque anthologie ? Nul dédain mais la poésie était ailleurs, au cœur de la vie, et donc en dehors de l'orgueil des biographies ronronnantes et passives. Ce qui explique en partie un cruel silence autour de son œuvre qui débute avec Plus vivants que jamais chez Robert Laffont en 1968 et semble se clore, peut-être provisoirement, avec L'Ivre mort de lierre chez Pierre Meinard en 2010. Sans doute faut-il relever ce qu'il écrivait dans les Poètes d'aujourd'hui à propos de Maurice Blanchard et l'on constatera que le portrait d'un autre peut se transformer en un autoportrait tardif et éclairant :
1898: Un enfant de huit ans dévale la colline en criant. Nous verrons ce qu'il criait.
1934: Pour la première fois, à quarante-quatre ans, l'enfant met son nom sur un livre. Il s'appelle Maurice Blanchard.
1960: Il meurt. Moins de cent personnes ont entendu ce qu'il disait.

Il convient de changer les dates. D'emblée, la poésie de Pierre Peuchmaurd apparaît comme une poésie de l'insurrection même si celle-ci n'est pas recherchée car il faut la comprendre comme une évidence, une façon d'être au monde, sachant que l'on vit dans la permanence de l'éclair et non dans une rationalité morte. D'emblée aussi, il semble que la lenteur ne fasse pas partie de la connaissance comme l'affirmait Picabia et qu'attendre s'entende comme la promesse d'un mentir. La poésie va plus vite que l'Histoire. Elle mesure le degré d'aliénation et de désaliénation, un court-circuit qui se produirait entre l'étonnement et la dévastation.

Le titre alchimique L'ange cannibale prend en compte ces deux évènements paradoxaux : la dévoration et l'éblouissement. Il cristallise à la fois leur corrélation rigoureuse et leur point d'achoppement. Cette brièveté étonnée ne sera pas circonscrite, cette fois-ci, dans des poèmes courts. Elle établit d'autres lois, celles de la fracture et de la permanence, une sorte de narration visible à travers des éclats de verre. Pourtant, il est toujours question de rapidité ou plus exactement d'immédiateté, de cet instant précis et inaugural où Tout fait bouche à la source.

Quelle étrangeté de l'évidence quand elle contient l'absolu et qu'elle se cache sous les signes les plus communs. Elle semble là à ne rien faire juste recomposer devant nos yeux les prémisses du monde.

Parfois
on faisait des découvertes
d'émouvantes découvertes –
une femme vivante un oiseau mort
un regard nu
Jamais nulle part

On faisait ça
des découvertes.

L'homme est en contradiction avec le monde. Le monde se dénude et l'homme le vêt d'autre chose que de lui-même, l'envahit, ne lui laisse ni silence ni parole. Voilà pourquoi l'évidence est la physique ou pourquoi pas la métaphysique du merveilleux, une réalité supérieure qui se situe donc bien au-delà du rôle qu'on lui assigne.

Il y a un monde pour chaque erreur
un pendu sur chaque langue
et dans l'écarlate
l'écarlate.

Dans le texte de présentation, Laurent Albarracin montre très bien qu'il existe chez Pierre Peuchmaurd, un éclat de l'évidence qu'il ne faut pas opposer au surprenant qui va de soi.
L'inconnu c'est le connu qui s'émerveille, le tranchant de la vie, l'instance suprême à laquelle il faut se confronter. Cet inconnu-connu s'offre en même temps qu'il coupe, parfois profondément, comme le rebord d'une feuille de papier dont le maniement ne nous avait pas apparu si dangereux que cela. Il y a fulguration autant pour la Beauté que la désespérance comme si le fait de voir, de saisir, contractait en son sein les éléments signifiants d'une orientation et d'une désorientation. On se perd en se trouvant et cette vérité ne devient vérité que parce qu'elle s'inverse.

Il existe une dialectique du vif chez ce poète, bouillonnante, urgente, une déflagration qui nourrit et détruit, une juste mesure pour le monde qui nous est accordé. Cela ne va pas sans un véritable effroi qui s'affirme comme la première bête sauvage au cœur d'un bestiaire particulièrement riche que l'on découvre tout au long de son œuvre. Mais l'effroi comme la Beauté est une charge du réel et Pierre Peuchmaurd l'oppose à cette terrible négation que représente le vide :
On est finis tout de suite. Dès le premier sourire du rien.

Si l'on devait parodier Picasso, Pierre Peuchmaurd ne cherche pas, il trouve. Chez lui, la poésie se révèle plus qu'elle ne se construit. Le travail alors consiste à ne point falsifier les preuves émouvantes, à les polir. La brutalité a son mot à dire. La forme du surgissement du poème ne se dissoudra pas dans un quelconque esthétisme. Au contraire, les conditions de la captation du poème garantissent son authenticité. Tout est là et nous ne devons rien trahir. Le poème porte en lui sa propre moralité, son ordre et son désordre, sa lisière lumineuse. L'image peuchmardienne admet la fusion et la profusion pour arriver à la netteté :
Une feuille rouge bouge
et l'effroi se déplie
et tu respires à peine
et tu es déjà belle
et Dieu se lisse les plumes.

Pierre Peuchmaurd, témoin élégant tel nous le présente Laurent Albarracin. Pour qui le connaissait et pour ceux qui vont découvrir son œuvre, Pierre Peuchmaurd demeurera ce témoin élégant et magique, un être passionné, fidèle à la beauté qu'il savait convulsive.

Christian Viguié 
(18/06/11)    



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