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Anne PERCIN
Le premier été
"II venait d'apprendre la raison à grands coup de pied dans
le cur. Les leçons de courage sont des leçons de cruauté
A le voir si raisonnable, si distant, ravalant sa peine et les larmes qui auraient
dû couler, on comprenait qu'il venait de vieillir prématurément.
Tous les crève-curs de l'enfance sont des douleurs saignantes qui
se referment et laissent des cicatrices. La sagesse n'est rien d'autre qu'un
réseau de stigmates."
Nous aussi, nous garderons la trace de ce Premier été parce
qu'il entre en nous, insidieusement, par touches sensuelles : picotement des
herbes sur les jambes nues, campagne assoupie sous le soleil, grenier étouffant
où l'on peut apaiser ses désirs dans le foin ou dans la lecture
(Le Grand Meaulnes, Les Hauts de Hurlevent) ; parce qu'il résonne
en nous, par réminiscences : on a vécu ces vacances-là,
entre ennui et excitation, chez ces mêmes grands-parents : présents-absents,
garants de notre intégration au village, dans cette même inconfortable
vieille maison aux senteurs enveloppantes, asphyxiantes (on reconnaît
jusqu'à la pierre à laver en grès, les toilettes au fond
du jardin, le clocher qui égrène les quarts d'heure au rythme
de notre cur en attente de quelque chose
) et parce qu'il nous fait
mal comme la douleur d'un chagrin inavouable : "Comme un p'tit coquelicot
mon âme, comme un p'tit coquelicot
"
Ça commence comme une banale histoire d'adultes : deux surs liquident,
avec la maison des grands-parents, leurs souvenirs d'enfance.
"Parfois je nous imagine en héroïnes de film, comme on en
voit dans les comédies à la mode en ce moment en France. Tu sais,
celles qui racontent le retour aux sources, la réconciliation attendue
avec ses racines. Je pense à cette image et j'ai envie de tout foutre
en l'air
Le problème n'est pas là
Il m'étouffe
à en crever depuis quinze ans."
C'est quoi ce mystère que Catherine, la narratrice, veut chuchoter à
l'oreille de sa sur Angélique ? Par le truchement du tutoiement,
ce récit ne tombe finalement que dans l'oreille du lecteur angélique,
lui aussi, et pèse le poids d'une confession. La narratrice, lente stripteaseuse,
soulève le voile de son secret. Catherine, trouve, dans l'écriture,
enfin le souffle, au bout de tant d'années de silence, de raconter son
été à elle, son histoire que personne ne connaît
et surtout pas sa lumineuse et heureuse sur, qui est persuadée,
d'être la seule à avoir vécu quelque chose cet été-là
!
A la manière d'un polar, cette histoire étouffée, étouffante,
cruelle comme la moquerie des enfants et l'indifférence des adultes,
brûlante comme le désir, noire comme la sexualité, rouge
comme les coquelicots de la chanson qui se transforment en goutte de sang, ce
premier été tient en haleine mais donne aussi le cur gros,
car maintenant "Je sais comment on zoque les chatons dans les fermes."
Sylvie Lansade
(26/09/11)
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Lectures
Editions du Rouergue
168 pages - 16 €
Anne Percin,
née en 1970 à Épinal, a déjà publié une dizaine de livres pour les adultes et la jeunesse.
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Anne Percin
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