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Pierre PELOT


Givre noir


Deux histoires qui se croisent.
Tout d'abord un fait divers : une jolie Miss prend une décharge de chevrotine dans un bar d'Épinal. Un journaliste alcoolique et paumé qui connaît le milieu des étudiants du Lycée de l'Image impliqués dans cette affaire se rend à l'hôpital pour comprendre. Gerbois, un habitué du Bar du Commerce où s'est déroulé le drame, connaît bien Mitidjène et un peu la possessive Ladidi, le frimeur Jean Maurice Maurice, Marani et Veline la belle victime. Il ne suffit pas d'interroger Mitidjène pour comprendre l'origine de l'altercation sanglante. Il faut aussi chercher derrière l'élection de Miss Image et sa photo, recoller les bribes d'informations la concernant et fouiller le passé pour entrevoir un début de vérité.

Autre temps, autre lieu : Stany, riche septuagénaire fantasque, propriétaire d'usines mais amoureux de trains électriques, erre dans sa grande maison bourgeoise, à demi-malade et vêtu d'une vieille robe de chambre bien chaude pour la saison. "Il a décidé d'être vieux à sa guise pour faire ce qu'il n'avait jamais pu ou osé avant". Avec cet être singulier, passionné de paléontologie, la casquette toujours vissée sur la tête, vivent sa femme Mado, et Nell, la nièce de celle-ci. Une bombe de vingt ans avec laquelle il entretient des relations distantes (rester insensible à cette baby-doll en string, demande effectivement un vrai contrôle de soi...) mais moins conflictuelles que celles que la jeune fille entretient avec la sœur de sa mère. Mado, veuve dynamique, ayant perdu mari et enfants, dotée d'une froideur implacable, blondasse permanentée sur le déclin, manipulatrice à ses heures, est, quand commence le roman, de sortie.
"Nous sommes un vendredi 13. Il fait une chaleur caniculaire, totalement insupportable. Nell vient de se faire plaquer par son mec (…) Mado va arriver avec une connaissance rencontrée par hasard."

C'est avec Dustin, la mâchoire abîmée par une bagarre de bar, improbable ami du fils décédé, que Mado revient. La chambre d'amis pourra bien dépanner l'homme blessé sans véhicule. Stany observe ce jeune voyou, rustre et mal à l'aise, avec amusement : "À côté de lui, l'australopithèque afarensis mériterait un prix Nobel toutes disciplines confondues." Nell, pour sa part, semble vite avoir des doutes sur l'identité du nouveau venu couvé des yeux de façon gourmande par Mado.
Difficile à soixante ans de rivaliser avec la candide Nell en tenue légère... Ces deux-là semblent avoir pris du temps pour faire connaissance quand la femme les retrouve le lendemain matin. Mais Mado n'est pas du genre à se laisser faire. D'autant que le garçon sous le charme pourrait s'avérer incapable de tenir sa langue et ses propos permettre à sa nièce, qui soupçonne déjà sa bienfaitrice d'avoir empoisonné son premier mari et poussé sa mère au suicide, de déjouer ses plans.
Effectivement Nell, poussée par un désir de vengeance et son affection pour le vieil oncle apparemment candide, prend un certain plaisir à dénouer les fils de cette mascarade...
"– On prend trop de somnifères, ou on se trompe de pilules, parce qu'on a un peu trop bu. Comme ce soir.
– Ce soir pas question, dit-il vivement."

Mais Stany, le vieux nounours décalé, est-il aussi aveugle et naïf qu'il le paraît ? Mado est-elle vraiment le monstre animé par l'intérêt que sa nièce imagine ? Dustin n'est-il qu'un paumé ou un escroc appâté par le gain ? Et la jeune fille en révolte, dans quel camp est-elle vraiment ?

Le filage simultané des deux histoires est au démarrage assez déstabilisant. Les deux scénarios se juxtaposent, l'un en mode majeur, l'autre en mineur, et le lecteur se demande un certain temps par quel subterfuge vont se rejoindre ces deux parties qui a priori n'ont rien en commun. Il faudra attendre les toutes dernières pages pour comprendre ce qui (ou qui) les relie.

Ce roman, huis clos d'une famille assez atypique traversé par l'agression à des kilomètres de là et bien plus tard de Miss Image dans un bar, est communément marqué du signe de la tension et du combat. L'intrigue centrale est initialement assez simple et la personnalité et le rôle de chaque personnage y sont assez clairs. C'est ensuite, par l'enchevêtrement des deux histoires mais aussi par la façon dont les clichés se brouillent pour nimber chacun d'ambiguïté, que l'auteur complexifie l'ensemble en mélangeant les cartes et en bougeant les lignes entre alliés et ennemis, meurtriers et victimes, complices ou témoins. Chaque personnage joue alternativement de son pouvoir de séduction et de ses pulsions destructrices.

L'étrangeté du décor et la chaleur ajoutent à la dépression, la sensualité et la tension ambiantes. De quoi créer et entretenir un climat malsain où l'hypocrisie et la manipulation règnent en maîtres, avec cynisme et sans pitié.

Pierre Pelot aime jouer avec les (bons) mots et les différents registres de langage. Alors que Stany s'exprime de manière assez cultivée, avec un vocabulaire riche et en soignant ses tournures de phrases, Mado, de milieu plus populaire dont la palette lexicale est plus limitée, s'affirme par la brutalité et la familiarité de ses propos. La langue de Nell est, bien-sûr- marquée à l'aune générationnelle. L'ensemble est plein de trouvailles avec un goût certain pour la formule choc :
"Parler de soi à la personne qu'on veut intéresser n'est pas raconter sa vie, c'est faire de la publicité. (...) La plupart du temps mensongère."

"– C'est pas parce qu'on lit L'Auto-Journal qu'on est plus con qu'un autre, ceci dit, estima Dustin
– Certainement, dit Stany. (...) Étant tout de même entendu que, dans le cas de ce garçon, Mado n'a pas tort. Vous lui dites Toulouse-Lautrec, il vous répond Paris-Dakar."

C'est vif, souvent juste, les nombreux dialogues sont pleins d'humour, le rythme est enlevé et on se dit qu'il y aurait là un matériau très immédiatement théâtral ou cinématographique.
Un roman drôle et méchant à souhait !

Dominique Baillon-Lalande 
(29/07/12)    



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Noir & polar









Editions La Branche
Vendredi 13
184 pages - 15 €










Pierre Pelot
est né en 1945 dans les Vosges où il vit toujours. Dès l'âge de 18 ans, il décide de vivre de sa plume et s'attelle à tous les genres : western, polar, S.F., littérature jeunesse... On lui attribue près de 200 livres. Plusieurs de ses romans ont été portés à l'écran, parmi lesquels L'Été en pente douce (avec Jacques Villeret, Pauline Lafont, Jean-Pierre Bacri...)