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Iain PEARS

La chute de John Stone



Avec Le Songe de Scipion et Le Cercle de la croix, Iain Pears a renouvelé le roman historique en concevant des intrigues d’une complexité extrême, qui peuvent se dérouler sur plusieurs époques et proposent au lecteur des énigmes sous-tendues par une trame policière d’une rigueur machiavélique. La Chute de John Stone renoue avec cette manière où il est passé maître en jouant sur trois récits distincts, écrits par des narrateurs différents, dont l’apparent disparate dissimule une unité saisissante. Le premier, signé par le journaliste Braddock, relate des événements qui se sont déroulés à Londres en 1909 : après la mort brutale du riche industriel John Stone, dont on ne sait s’il s’agit d’un accident, d’un meurtre ou d’un suicide, le narrateur est chargé par sa veuve Elizabeth de rechercher l’enfant caché de son mari, ce qui le conduit dans les méandres d’une enquête qui pose plus de questions qu’elle n’en résout. Le deuxième, rédigé par Henry Cort, qui joue dans le premier récit un rôle occulte mais essentiel, nous conduit à Paris, en 1890, sur les traces de cette même Elizabeth qui mène alors la vie brillante d’une courtisane au faîte de son succès. Enfin, le troisième, écrit par John Stone en personne, nous ramène à une période encore antérieure, dans la Venise de 1867.

Ces trois récits, qui semblent à première vue n’avoir d’autre point commun que la présence de tel ou tel personnage, s’ajustent en fait les uns aux autres avec une minutie sourcilleuse, jusqu’à la révélation finale, totalement inattendue et pourtant parfaitement logique, qui éclaire brusquement le tableau d’ensemble et met en relief sa composition vertigineuse. Ainsi les questions initiales – comment est mort John Stone et quelle est l’identité de son enfant – apparemment oubliées au cours du roman, trouvent-elles une réponse lumineuse dans les toutes dernières pages, qui éclairent d’un jour nouveau les détails les plus infimes des récits antérieurs. Entre temps le lecteur, manipulé de main de maître, et avec quelle délectation, n’aura cessé de s’interroger, entre révélations partielles et démentis décevants, sur la véritable nature des événements et sur la personnalité des protagonistes, dont il perçoit, d’un récit à l’autre, des facettes contradictoires qui en épaississent le mystère, en particulier celle d’Elizabeth, à la fois aventurière audacieuse, épouse aimante et femme du monde accomplie.

John Stone étant un marchand d’armes à la tête d’un empire industriel tentaculaire, et Henry Cort un espion au service du Foreign Office, le roman nous conduit dans les arcanes de la politique et de la finance internationales, et ce n’est pas le moindre mérite de l’auteur que de réussir à nous passionner pour les spéculations occultes qui y font rage, et qui habituellement, demeurent obscures au profane. Malgré son cynisme, on en viendrait presque à épouser les vues du héros, et à attribuer comme lui au capitalisme et à la haute finance un caractère poétique et esthétique. Par ailleurs le livre, qui relate aussi une grande histoire d’amour, prend à la fin les accents d’une tragédie, lorsque se révèle la malédiction terrible qui a causé « la chute de John Stone ».

Les admirateurs du Songe de Scipion et du Cercle de la croix retrouveront tout le talent de Iain Pears dans cette fiction diabolique qui ne le cède en rien aux ouvrages précédents.

Sylvie Huguet 
(02/02/10)    



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Editions Belfond

606 pages – 23 €


Traduit de l'anglais par
Georges-Michel Sarotte





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