Jean-Pierre OTTE

L'épopée amoureuse du papillon


En associant la rigueur de l’observation scientifique à l’émerveillement du poète, Jean-Pierre Otte nous offre un livre enchanté et enchanteur qui échappe à toute classification. A l’origine, un ravissement primordial, celui de l’auteur enfant découvrant une serre à papillons : « C’était à un moment d’éclosion. Les papillons surgissaient de toutes parts, sortis de nulle part et de partout, virevoltant par myriades, décrivant chacun une valse enchantée dans les airs, un papillonnement, justement, comme de paupières colorées qui clignent. Les ailes miroitaient à la lumière par intermittence, en scintillements de soie, et l’on eût dit aussi des pétales de fleurs soudés par deux et détachés de leurs tiges, à la dérive, dans l’ivre liberté. » Le livre approfondit cette épiphanie féerique, déchiffre « la partition de cet élan magnifique du périssable dans l’éternité », en épousant les étapes qui mènent de l’œuf à la chenille, de la chenille à la chrysalide, et de la chrysalide à l’imago ou insecte parfait.

Jean-Pierre Otte adopte le regard aigu de l’entomologiste que seconde la loupe ou le microscope, détaillant par exemple l’aspect des œufs, dont les formes « varient à l’infini, assez fréquemment sphériques, elliptiques, en capitules globuleux aplatis à une extrémité, ou allongées, étirées en fuseaux, en forme de graines hérissées d’arêtes ou ovoïdes et parcourues de stries. » Il apprend au lecteur curieux des particularités surprenantes concernant les mœurs de certaines espèces, telle la Palingeria, dont la femelle est fécondée avant même de s’être extirpée de sa chrysalide. Mais chez lui, l’observation scientifique, loin de désenchanter la contemplation éblouie de l’artiste, lui sert au contraire de support, et la grâce de l’écriture mime celle des créatures qu’elle célèbre. Voici par exemple le vol du Citron : « On dirait une fleur de sauge phlomys ou de jonquille d’avril, qui se serait affranchie de sa tige, de ses racines et de ses feuilles, ivre désormais d’une liberté insensée, volant, virevoltant à sa guise et se laissant emporter parfois, en dérive, à la faveur d’un vent coulis. » Voici encore la gloire du Vulcain, qui semble « avoir été forgé dans quelque atelier divin (…) conservant de sa création un rougeoiement dans une livrée merveilleuse, le lancé des étincelles et le délié des flammes dans sa course. » L’auteur, qui est également peintre, utilise sa plume comme une palette pour restituer formes, mouvements, couleurs.

Cependant, Jean-Pierre Otte ne se contente pas d’une observation extérieure : il cherche à pénétrer ce que faute de mieux il appelle « l’âme » ou « l’esprit » des insectes, à qui il prête désir, impatience, ivresse, évoquant par exemple les sensations de la femelle au moment de la pariade : « En même temps qu’elle vérifie la qualité du désir et l’ardeur de son poursuivant, elle-même poursuivie sent son sang courir plus vite dans les nervures de ses ailes ; au gré de la course, son propre désir s’aiguise, toutes ses parties intimes s’éveillent à vif dans un dérèglement des sens. Elle atteint le degré d’excitation et d’ivresse, qui la porte à l’assentiment. » De même, il montre la chenille entrant en chrysalide « comme on s’enclot dans un cloître » et « recueillie alors dans une sorte d’ascèse ». Il n’est donc pas étonnant que, de cette observation empathique, l’auteur tire des leçons de vie.

Dès les premières pages, il note que les papillons « s’inscrivent naturellement dans le monde », tandis que nous en sommes « détachés par la conscience que nous avons de nous-mêmes, en rupture et en exil. » Il nous revient donc de retrouver, par la culture, un « accord » qui nous permettra de « fonder notre propre loi d’harmonie. » De même, il voit dans la métamorphose radicale qui fait de la chenille un papillon la métaphore des « transformations qui s’opèrent en nous d’âge en âge », « un processus analogue à celui qui devrait se produire en nous, dans la chair et dans l’âme, si nous ne voulons pas rester à jamais des êtres inachevés. »
Jean-Pierre Otte se révèle ici un de ces « chercheurs infatigables de richesses naturelles » qu’évoquait Montaigne pour définir le sage. Son livre est un joyau littéraire qui ravira tous les amoureux de la beauté, celle de l’écriture comme celle des créatures vivantes.

Sylvie Huguet 
(24/07/07)    



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Editions Julliard
173 pages, 18 €






Ecrivain, conférencier et peintre, né en 1949, Jean-Pierre Otte vit aujourd'hui sur un causse du Lot, entouré de près d'une centaine d'animaux. Observateur passionné des rites amoureux du monde animal, il se déclare fasciné par la femme, le flânerie, le vin, les fleurs, et cherche dans ses livres à manifester le mystère de notre présence au monde - et son propre plaisir d'exister. Plusieurs de ses livres ont été repris en collections de poche.



Site de l'auteur :
http://perso.orange.fr/
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