Collectif

Objets Trouvés


Après Petite Ceinture et Bains Douches, sur le même principe (un lieu, une photo, un auteur, une nouvelle), dix-huit auteurs, en partie embarqués dans les précédentes aventures, mais pas seulement, de provenances littéraires diverses et aux univers différents, se sont laissés séduire par la nouvelle proposition de Jean Distel et Arnaud de Montjoye. A partir de photographies prises par le premier d'un ou de plusieurs objets, ordinaires ou insolites, extraits des collections entreposées aux Objets trouvés de la rue des Morillons à Paris, ils ont tissé des liens, créé des personnages, inventé des histoires.
Le lieu est un bric-à-brac mythique, une caverne d'Ali Baba dont Arnaud de Montjoye ouvre la porte dans sa préface : « Vu de loin, le bâtiment n'a pas l'air de grand-chose. (...) En s'approchant, on distingue quelques lettres discrètes, comme honteuses. Service des Objets trouvés. (...) Si les objets ont, peut-être, mille et une chose à conter et reconter, les personnes hantant ladite babiole ont, quant à eux, des milliers et des milliers d'histoires, toutes à la recherche, au-delà du seul objet, d'un passé moins-que-parfait, d'un présent précaire, d'un avenir décomposé. C'est dire si tout le monde s'y côtoie ! (...) Des imaginaires dissimulés. Des rôles, celui de l'objet et de son maître qui pourraient bien être interchangeables. » « Le hasard des arrivées aux Objets trouvés livre parfois des merveilles, comme sur une plage de sable le large peut apporter des mystères. (...) Photo sépia, crâne de dragon ou carabine encore brûlante de poudre forment une cosmogonie hétéroclite, un univers littéraire farfelu aux couleurs du réel. »
Les autres à sa suite s'y engouffrent avec bonheur.

Au cœur de ces histoires, souvent, les employés eux-mêmes, ceux pour qui ces objets hétéroclites, leurs propriétaires distraits ou éperdus relèvent d'une cohabitation journalière. Il semblerait que de cette fréquentation on ne sorte pas indemne :
Un miraculé de la vie qui travaille là pour financer ses études même s'il exècre les braves gens, ceux « qui se mêlent de la vie d'autrui pour réparer les infortunes du sort » et ceux qui par honnêteté lui ramènent des objets de valeur ou insignifiants, se transforme en tueur en série puis en avocat même pas repenti par la grâce d'un vieux livre rapporté par une charmante jeune femme aux yeux verts dont il tombera amoureux. (Enfin trouvé / J-M Lambert).
Antoine dans Une case de vide (Jean-Noël Martin), le personnage de Madame (Nathalie Marx), Eugène Birochot, adjudant à la retraite reconverti en bénévole ici qui « faisait passer des accessoires militaires erratiques de la fonction d'objets trouvés au niveau valorisant de souvenirs commémoratifs » (Claude Chanaud) ou Mireille dans Perte nécessaire (Brigitte Aubonnet) qui travaille depuis quinze ans dans ce service et « en a reçu des morceaux de vie, un puzzle de pertes que peu a peu elle a organisé en œuvre d'art », se trouve happés par les objets, amour ou folie, et finissent par sombrer. Parfois le scénario bascule alors dans le registre fantastique même si, plus particulièrement pour Brigitte Aubonnet, le réel et la critique sociale restent présents en filigrane.
Corentin, séduit par la parure de plumes qui, au Brésil, a déjà fait basculer autrefois la vie de Leïla l'androgyne, la subtilisera au service pour s'en parer chez lui et franchir le pas jusqu'à s'afficher avec à la Gay Pride (Le truc en plumes / Francis Vladimir).

Il n'est pas surprenant de constater que, dans les dominantes générales qui marquent le recueil, se dégage ensuite un "sur les traces de..." avec des officiers de police ou de simples habitants endossant cette fonction, pour des enquêtes peu ordinaires. Ainsi le commissaire Barral suite à un tir à la carabine sur une prostituée, mène un interrogatoire peu académique et étrangement nourri d'un obèse, installé temporairement dans un fauteuil roulant (Air comprimé / Régine Detambel), l'inspecteur Dotriat, lui, « digne élément de la police de proximité », « condensé de brutalité avec un irrépressible penchant pour la bouteille » part à la recherche de sa carte de police perdue lors d'une soirée très mouvementée (L'insigne / Patrick Delahais) quand, dans une histoire proche du grand guignol, l'inspecteur Dugommier alerté par mademoiselle Chomier, vieille employée qui lui sert parfois d'indic, enquête sur l'étrange abandon en un même endroit d'une béquille, d'une jambe artificielle et d'un fauteuil roulant frappés des mêmes initiales (Trois TT, c’est trop… / Georges Foveau).
D'autres fois, c'est par hasard que la police découvre d'étranges objets "récupérés" comme dans l'histoire de Sarah à la recherche de l'amour du père et de son enfance volée qui enlève un ouvrier du bâtiment sans papiers et s'entoure d'objets dérobés sur les chantiers pour nourrir sa quête folle (Construire une route / Guillaume Bourain). Mais l'enquête peu aussi être menée par une aide soignante, reconvertie moyennant émoluments conséquents en détective, pour retrouver une canne ayant appartenu à Antonin Artaud (La Canne retrouvée / François Vallejo).

Mais les objets ont aussi une histoire qui entremêle présent et passé, Histoire et vies intimes et certaines nouvelles, plus graves, s'inscrivent dans le registre historique. Quand Albert, à l'accueil des OT, rencontre Patt'delapin, vieille dame pour laquelle la pendule s'est arrêtée après la guerre et qui vient là chaque jour à la recherche de sa perruque de "tondue", la conversation amorcée là, poursuivie au bar et par une soirée aux souvenirs partagés, donnera naissance à un fameux tohu-bohu. (Ces accroche-cœur perdus / Arnaud de Montjoye). Même période abordée par Jacques Astruc (Vanda) quand un homme, qui vient d'apprendre que les parents qui l'ont élevé ne sont pas les siens car ils l'ont trouvé bébé dans une cage d'escalier pendant la guerre avec pour seul indication une étoile jaune sur son manteau et un nom rapidement griffonné, se rend là en quête de son passé. Une valise abandonnée le même jour sur le trottoir à quelques mètres de l'immeuble lui rendra son nom perdu et ses origines. Dans ce même registre, on pourrait citer aussi Le porteur de chapeau de Jean-Michel Platier et de nouveau le pauvre adjudant de Claude Chanaud.

La dernière veine, utilisée est celle des objets/personnages. Chez Brigitte Aubonnet, Jean-Noël Martin, mais aussi le très poétique Sakados de Françoise Rachmuhl, les objets s'animent et se mettent à parler de leur vie, de l'Histoire, de leurs maîtres.

D'autres nouvelles évoquent l'enfance (Istanbul de Philippe Deblaize, Wendy la blonde fadasse… de Chantal Portillo) ou se situent dans le registre de la simple fantaisie comme Les ours blancs (Patrick Ottaviani) où Miss France égare volontairement son collier d'améthystes pour choisir son futur époux. Plus drôles que dramatiques, même si la mort, le manque, la souffrance, la folie traversent parfois ces aventures burlesques.

D'aucunes prennent un tour poétique ou jouent avec des références littéraires en clin d’œil mais quel que soit le registre choisi, ces nouvelles souvent intimes nous touchent. Nous ne pouvons, une fois de plus, que constater et apprécier la cohérence qui émerge de cette multitude de voix et de styles. Il s'avèrerait donc que le parti pris thématique de cette collection s'avère favorable à la découverte de nouveaux auteurs, à l'expression d'univers littéraires singuliers mais concordants. Les thèmes, il est vrai, sont très judicieusement choisis pour trouver écho dans l'imaginaire collectif. Il en résulte donc qu'y picorer est un vrai plaisir de lecture et que, au fil des titres, on se prend à s'attacher à cette collection originale.

Dominique Baillon-Lalande 
(02/05/08)    



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Lectures






Arcadia Editions
Collection En Marge
240 pages - 15 €

Photographies :
Jean Distel

Textes :
Jacques Astruc
Brigitte Aubonnet
Guillaume Bourain
Claude Chanaud
Philippe Deblaise
Patrick Delahais
Régine Detambel
Georges Foveau
Jean-Michel Lambert
Jean-Noël Martin
Nathalie Marx
Arnaud de Montjoye
Patrick Ottaviani
Jean-Michel Platier
Chantal Portillo
Françoise Rachmuhl
François Vallejo
Francis Vladimir









Pour lire les articles concernant les titres précédents :


Petite Ceinture




Bains Douches