Nous voici plongés dans l'Égypte des années 50 et plus
précisément à Alexandrie où vit une petite fille
dont la beauté étonne autant que sa voix au timbre aussi pur
qu'une eau cristalline s'écoulant entre les pierres polies d'une rivière.
La vie de Naïma sera marquée par plusieurs rencontres décisives.
La première est celle d'un vieil homme, Fawzi, qui l'a entendue chanter
et rêve de lui faire connaître les plus belles voix gravées
sur les 78 tours qu'il a dans sa chambre avec un gramophone.
Il est si âgé que Naïma lui fait confiance.
La petite assise sur l'extrémité du matelas, écoutait
le chant qui montait limpide du phonographe. Jamais elle n'avait entendu une
voix aussi gracieuse, jamais elle n'avait ressenti sa poitrine se remplir d'autant
d'allégresse. La pièce si sombre à l'instant, apparaissait
à présent comme illuminée d'une nuée de paillettes
d'or s'élevant vers le plafond pour former une voûte aussi vaste
qu'un ciel étoilé. La joie de Fawzi, de la voir ainsi fascinée,
transformait son visage ridé en une sorte de grimace de bonheur hébété.
Avec Fawzi, Naïma apprend de nouvelles chansons et prend plaisir à
jouer avec sa voix mais c'est en allant au cinéma avec ses parents qu'elle
décide d'y consacrer sa vie.
Lorsque les chants et les danses cessèrent et qu'une scène
bavarde débuta, Naïma ferma les yeux en pressant fortement ses paupières
et murmura entre ses lèvres des mots inaudibles pour ses parents : Je
veux chanter aussi bien ! Danser aussi bien !... Quand je serai grande... grande...
bientôt... je serai actrice... Dans sa poitrine son cur ne cessait
de battre avec ferveur.
Mais les encouragements de Fawzi ne suffisent plus. Elle veut apprendre à
maîtriser toujours mieux sa voix et son corps.
A dix-huit ans, ses parents acceptent de l'inscrire à l'école
de chant et de danse orientale d'Oum Badiâa qui, après avoir été
une jeune femme aussi belle que gracieuse, est devenue une matrone corpulente
mais aussi un excellent professeur. Naïma travaille dur pour progresser.
Toujours plus, toujours mieux.
Un producteur de cinéma, monsieur Hassan, passe de temps à autre
chez Oum Badiâa pour repérer des danseuses et des chanteuses pour
les studios qu'il dirige au Caire. Il ne manque pas, évidemment, de remarquer
Naïma et voilà la jeune fille et Oum Badiâa invitées
au Caire.
Naïma découvre le tournage d'un film et l'enregistrement de sa
voix mais pour le producteur, il faut aussi apprendre la relation au public.
- Plusieurs cabarets du Caire cherchent des voix comme la tienne, des corps
comme le tien pour distraire leur clientèle... c'est une excellente école
pour une future star !... (Il avait volontairement fait claquer ce dernier mot
dans sa bouche)... bien plus dure évidemment que celle d'Oum Badiâa.
Tu auras devant toi des hommes dont le regard glissera sur ton corps comme des
mains lourdes de désir. C'est ce même public qui viendra te voir
sur grand écran au Rialto ou au Plazza, mais il sera devant toi... proche...
l'esprit peuplé de ses fantasmes... Tu apprendras à ne plus faire
cas de sa présence, tu perdras cette écorce fine qui retient enfermé
ton corps comme la coquille d'un uf retient le poussin qui doit éclore...
réfléchis ?
C'est dans un de ces cabarets qu'elle rencontre Houda, une prostituée
très belle malgré une cicatrice sur le visage. Leurs destins vont
étrangement se nouer
La petite fille qui rêve de devenir chanteuse, un phénomène
qui traverse le temps jusqu'aux "stars académies" d'aujourd'hui
mais que l'auteur replace avec un grand talent à la fois dans l'atmosphère
d'Alexandrie d'il y a soixante ans et dans l'ambiance particulière des
films qu'on y tournait pleins de rêves, de passion, de rencontres, d'amour
et de ruptures. Pour consacrer sa vie à son art, Naïma doit accepter
de sacrifier d'autres parts de sa vie : il faut être libre, ne pas
penser à autre chose, ne pas laisser faire le destin
Un très beau texte où David Nahmias renoue avec son Alexandrie
natale, celle qu'il nous avait déjà présentée il
y a quelques années dans le livre coécrit avec son père,
Alexandrie, mémoires mêlées.
Serge Cabrol
(12/08/12)