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Romain MONNERY

Libre, seul et assoupi


On est en pleine période de crise. Alors que de nombreux jeunes diplômés angoissent et s'échinent à trouver un emploi, “Machin” – nommé ainsi depuis toujours pour son invisibilité –, utilise toute son imagination et son habileté pour ne rien faire, une fois ses études universitaires achevées. Pas par altruisme, ni par philosophie ou par rejet politique d'un système, non, par paresse et immaturité.
« Travailler me paraissait être le meilleur moyen de grandir. Et devenir adulte me paraissait être la dernière des choses à faire en ces temps difficiles. »
Un garçon sans perspectives, sans envies, sans ambition, sans énergie, sans courage.
Ses parents, excédés de le voir végéter, cloîtré dans sa chambre à dormir, écouter de la musique ou se perdre dans des séries et des jeux insipides, le mettent à la porte pour le pousser à s'assumer.

Une fois dehors, le jeune homme confronté à la dureté de la rue, rejoint Stéphanie, une ancienne copine de fac montée à la capitale, dont il a retrouvé les coordonnés. Celle-ci lui propose d'emménager dans l'appartement en colocation qu'elle partage avec Valérie, une étudiante complexée, et Bruno, fan de foot qui se rêve journaliste sportif.

Provisoirement sauvé par cette proposition sympathique, le garçon qui doit financer sa part de loyer trouve par annonce un stage sur une chaîne du câble comme assistant rédacteur. Sur place, point de rédaction mais le maniement du balai et la préparation du café font son quotidien. Il s'en accommode et apprend vite à se faire oublier pour se ménager quand une animatrice qui émeut fortement ses sens, le met en difficulté. L’exploitation et le manque d'amour propre ont leurs limites, il se fâche. Le grand patron est prêt à passer l'éponge et à le prendre sous son aile moyennant un paiement en nature. L'homme aime la chair fraîche. Mais notre adulescent n'est pas prêt à cette compromission pour une carrière dont il n'a rien à faire et claque la porte.

Va alors commencer pour lui, une longue période de chômage dont il s'arrange avec un certain bonheur. Le RMI accordé par le pôle emploi lui suffit pour payer son loyer et survivre. Dormir, mâter la TV, fantasmer sur des femmes rêvées, rester enfermé des journées entières dans l’appartement avec Bruno, son compagnon d’infortune et colocataire, le ramènent avec un certain plaisir à sa vie d'adolescent ou d'étudiant. Notre jeune homme sans passions, sans responsabilités et sans vie affective et sociale, profite de son temps libre, de la chaleur de son lit, jouit de cette absence de contraintes qui ressemble à la liberté et de l’insouciance, persuadé de tenir là l'essence du bonheur absolu.
Dans un premier temps Bruno se laisse entraîner dans ce délire égocentrique en marge du monde mais au bout de quelques mois, la pression familiale aidant, il se désolidarise et quitte l'appartement. « T’appelles ça être heureux, de rester enfermés toute la journée ? Moi j’appelle ça être mort. »« Le syndrome Peter Pan c’est ton truc, pas le mien. Moi j’ai envie de grandir. Etre adulte. Etre un homme. »
Valérie, elle, après avoir repris ses études et rencontré l'homme de sa vie, aménage ailleurs.
Ne reste donc plus dans l'appartement que la belle Stéphanie, en couple avec un rocker de pacotille, qui enfile stages et CDD en vue d'une place au soleil des stars. La colocation avec le couple devient vite impossible et Machin se fait éjecter sans préavis.

Malgré la philosophie épicurienne qu'il prône et son envie de mener « ad vitam æternam » une vie d'adolescent en marge de l'agitation et de la férocité du monde, notre jeune homme se retrouve obligé de sortir de son nid pour trouver un logement et chercher à nouveau un travail alimentaire. Un relookage s'impose également.
S'ensuit une immersion chaotique dans le monde des salons commerciaux et de l'automobile. La nécessité de se conformer à la conception banale et ordinaire de l'existence telle que la conçoivent les adultes, de s'intégrer, est source pour le résistant d'une remise en cause douloureuse mais salutaire.

Autant le dire tout de suite, ce premier roman n'est pas complètement abouti : il y a des longueurs et des redites, le style, en dehors d'un sens affuté de la formule et du jeu de mots et d'un humour percutant, est assez neutre et l'auteur semble patiner un peu et rencontrer certaines difficultés à nourrir son récit sur la durée. Par ailleurs la vacuité de son personnage, fainéant, hors de toute idéologie ou tout système de pensée, est assez accablante.
Mais il a par ailleurs d'autres qualités : l'argument est original et le scénario plutôt bien mené, le personnage principal est criant de vérité et ceux qui gravitent autour de lui de même.
« Raconté par un anti-Rastignac, voici le roman de la génération précaire et des désillusions perdues, où l’initiation des années 2000 se joue entre échec volontaire et résignation constructive. »
annonce la quatrième de couverture et en effet, on trouve ici un portrait assez exact de toute une génération d'enfants gâtés, marginalisée et sacrifiée, perdue... (je laisserai au lecteur, comme l'auteur le fait lui-même, le choix de sa propre appréciation).

Il en résulte un roman générationnel atypique, sociologiquement non dénué d'intérêt. Machin, bien qu’expert de la fuite, n’est pas dépourvu d’intelligence et porte un regard réfléchi sur notre monde. C’est à une vision finalement assez réaliste de notre société que nous sommes ici confrontés : comment décrocher autre chose que des stages sous-payés quand on est jeune ? Où trouver un logement accessible sans caution parentale et sans emploi ? Pourquoi, comment, se jeter à corps perdu dans la compétition du travail sans la moindre envie d'en sortir gagnant ?
Le regard que l'auteur porte sur sa tribu d'adolescents poussés en graine est juste, plein de complicité mais non sans profondeur. C'est avec fantaisie, sensibilité et authenticité, qu'il évoque leur attachement à l'enfance, la trouille de grandir, la difficulté de se projeter dans un avenir incertain et une bagarre aux enjeux peu motivants. L'itinéraire du symbolique et caricatural Machin s'apparente au classique roman d'initiation revu et corrigé à l'aune de notre époque.

Romain Monnery s'amuse, divertit son lecteur, mais sait, l'air de rien, pénétrer la surface des choses et avec provocation ou moquerie poser quelques-unes des vraies questions qui peuvent agiter tous parents face au comportement énigmatique de leurs enfants et plombent de nombreux jeunes jusqu'au désespoir suicidaire. Il s'y reflète aussi les blocages et les désordres inhérents à notre société.

On sourit, s'agace, s'interroge. On est surpris de se laisser prendre aussi simplement dans les mailles de l'histoire, des anecdotes et des êtres.
Alors on se prend à espérer un second roman, moins autobiographique sans doute, plus "extérieur", plus maîtrisé, plus riche et plus mature, où l'auteur pourrait confirmer la singularité de sa prise de vue et affirmer le ton prometteur qu'il inaugure ici.

Dominique Baillon-Lalande 
(04/09/10)    



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Au Diable Vauvert
308 pages - 18 €




Ce roman a été adapté
au cinéma
sous le titre
Libre et assoupi



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(distribution, photos,
bande annonce)
sur le site
commeaucinema.com








Romain Monnery,
né en 1980, a suivi des études de langues
et de communication.
Il travaille à l’Argus
de la Presse.
Libre, seul et assoupi
est son premier roman.