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Max MONNEHAY

Corpus Christine



Après douze ans d’un mariage sans accroc, un homme chute d’un toit et c’est toute sa vie qui bascule. Christine, sa femme, jusque-là aimante et attentionnée, se révèle alors sous un jour nouveau. L’ange docile des premières années se métamorphose en bourreau de 120 kg qui séquestre dans son propre appartement l’handicapé, animal rampant de 45 kg, et le martyrise tant physiquement que moralement.

Quand le poids léger prend la parole, cela fait quatre ans qu’il est condamné à se nourrir de haute lutte de larcins divers lors des absences ou du sommeil de sa geôlière.
Le prisonnier, laminé par cette non-existence remplie d’humiliations d’une perversité que rien ne lui avait laissé soupçonner chez sa tendre épouse, mû par l’instinct de survie et la passion, se bat jour après jour pour ne pas céder à la folie et à la mort.
Une véritable guerre des nerfs où tous les coups sont permis, même et surtout les plus tordus qui font bien mal. Ces deux êtres tellement liés l’un à l’autre qu’ils s’échinent à se détruire se retrouvent alors dans une relation sadomasochiste où haine meurtrière et amour éperdu se fondent en un seul sentiment.

« Mon but ultime, en tant qu'écrivain, est de faire une oeuvre complète, qui soit le reflet du monde en ce qu'il est capable d'être à la fois bon et mauvais, drôle et terrible. Mon objectif, c'est de réunir les pôles » explique Max Monnehay dans une interview résumant fort justement la colonne vertébrale de son roman.

Coupé du monde, l’homme n’a d’autre interlocuteur que nous, puisque qu’il n'a même pas le loisir d'insulter sa tortionnaire. Dès lors, toute sa rage, sa souffrance, son impuissance se retournent contre nous, lecteurs transformés brutalement en boucs émissaires ou en voyeurs de cette histoire insoutenable.

Cette situation inconfortable d’interlocuteur présente cependant l’avantage de nous immerger en direct dans le récit. Interpellé, on s’apitoie et se révolte, s’interroge, cherche à trouver avec cette victime les raisons de son cauchemar, de cette haine intense venue se substituer à un amour sans nuages.
Mais aussi, à travers ce long monologue narquois, truffé d'humour, empreint de hargne et de ressentiments, où il n’hésite pas à nous apostropher avec violence, l’homme se révèle peu à peu et nous dit son couple dans ses bonheurs passés et sa pathologie galopante.
Les pièces du puzzle minutieusement mises en place, on est curieux de savoir quelle sera l’issue de ce massacre. Noire, bien entendu, dans la couleur dominante du roman.

Max Monnehay, jeune romancière qui signe là son premier livre, n'essaye pas de rendre crédible cette situation invraisemblable mais nous embarque à force d’outrances dans un délire stupéfiant et angoissant à souhait. Une guerre dont l’enjeu est la vie ou la mort où au final il ne reste que des perdants.
Entre malaise et dégoût, ce récit, comme un coup de poing, provocateur mais jamais racoleur, distille malicieusement un suspens auquel le lecteur se laisse prendre. On suit le calvaire de cet homme que l’auteur ne cherche pas vraiment à nous rendre sympathique, avec fascination. Car au cœur de l’œuvre couve la passion, ravageuse fusion entre haine et amour, autant dans la comédie de l’amour banal du début que dans la violence et la haine apportées par le retournement de situation dominant/dominé dans la tragédie finale. Et cette redoutable parabole du couple, dans ce qu'il a de séduction et d’horreur, trouve écho dans nos propres fantasmes, traumatismes ou terreurs.

Ce roman audacieux au sujet original mérite donc d’être découvert. Le début, où on peine à comprendre quelle sorte d’être vivant s’adresse à nous et vit sous nos yeux, nous bluffe et nous déstabilise pour mieux nous balader ensuite dans l’horreur de la fable.
Le style, tour à tour distant et incisif, pâtit parfois de l'abondance des interpellations au lecteur qui l’alourdissent mais relève d’une vraie personnalité et d’une maîtrise étonnante pour un premier livre. Un huis clos glauque, haletant et féroce au bord du fantastique. Un roman à la fois violent et drôle, inattendu et capable de tenir le lecteur en haleine. Une vraie curiosité.

Dominique Baillon-Lalande 
(16/11/06)    



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Lectures








Albin Michel

(Août 2006)
234 pages - 15 €














Née en 1981,
Max Monnehay
a obtenu pour
Corpus Christine
le Prix du Premier
Roman 2006