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Arnaud MODAT


La fée Amphète


Un recueil atypique et marqué par la jeunesse et une volonté affirmée de se démarquer des sentiers battus.

C'est pour cette raison, peut-être, que l'on croise dans ces onze récits beaucoup d'adolescents, d'enfants ou de presque adultes pas tout à fait ou mal grandis, qui se sentent encore spectateurs du monde, en marge, avec une histoire personnelle encore à écrire. Ils découvrent l'amour, la cigarette, et le monde extérieur comme cette petite fée de huit ans de la nouvelle titre du recueil qui échappe à la tendresse avinée de son père pour explorer une fête foraine où elle rencontre de bien étranges personnages (La fée Amphète) ou ce guitariste déboussolé – "Nos modes de vie me paraissaient absurdes, je devais donc répliquer par des ambitions plus vaines encore. J'avais longtemps hésité entre tondre du mouton à Auckland, choper une fièvre exotique à Bali, fumer une cigarette entre deux wagons de l'Orient-Express, pisser sur la Grande Muraille. Faire n'importe quoi, mais loin." – qui tombe amoureux d'une élève la veille de son départ (La pêche aux hippocampes). Il y a aussi cet adolescent boutonneux et maladroit qui apprend la guitare pour séduire et découvrir l'amour (Les pâquerettes par la racines), ces garçons qui tentent, chacun à sa façon, le tout pour le tout, pour réveiller leur père drogué à la TV et exister à ses yeux (Au pied des grands volcans éteints, Western domestique) et celui qui découvre la dure réalité de l'usine lors d'un job d'été (La tentation du cyclope). Tous sont encore à un stade où tout est possible mais rien n'est certain.

Les parents souvent sont défaillants et leur progéniture partagée entre rage et peur.
"D'aussi loin que je me souvienne, il est toujours rentré du travail sans dire bonjour à personne, un post-it collé sur le front : je suis absent pour le moment, merci de laisser un message. Certain médecins considèrent l'état comateux comme un mouvement de repli du cerveau, une sorte d'instinct de survie comparable à ces animaux qui se couchent et font le mort, devant un prédateur trop coriace. Mon père est certainement tombé nez à nez avec un tigre à dents de sabre, alors qu'il rentrait de son travail à bicyclette." (Au pied des grands volcans)
"N'y a-t-il le choix qu'entre la lâcheté et la violence ?" (Western domestique)

Omniprésents dans ces récits, les objets symboliques de notre société de consommation – la télévision, le canapé, les voitures, les vélos, le frigo, la mauvaise bouffe, l'alcool, les cigarettes... – qui les ancrent solidement dans leur époque. Tout est contemporain ici, va vite, se jette ou sur-occupe l'espace.
"Installez-moi dans une cabine de péage verrouillée de l'extérieur. Je passerai le restant de ma vie à me salir les mains avec de l'argent. J'aurai une petite radio grésillante sur laquelle j'écouterai de la musique classique. J'apprendrai à dormir assis, les phares en pleine gueule. J'apprivoiserai les courants d'air. […] Enfermez-moi dans une de ces guérites en plastique. Je veillerai à ce que tout le monde paie. Je mourrai statique et à l'abri, une main crispée sur le ticket et l'autre sur de la petite monnaie. […] Arnaud M, mort pour la redevance."
Et même les airs maladroits de guitare ou le sourire d'une fille qui vous rendent tout à coup vivant, ne suffisent pas à faire barrage contre cette chausse-trappe du confort inutile qui recèle en ses plis des trésors d'absurdité et de vanité.

Beaucoup d'errance, de doutes et une fréquentation assidue de la mort et des enterrements dans ces histoires. Avec un homme "aussi doué d'empathie qu'un tournevis cruciforme" lors des obsèques de la riche femme qu'il a épousée deux mois auparavant dans ce seul but (À l'école des cornacs indiens) et ce jeune homme qui fonctionne en boucle sur l'autoroute pour trouver où disperser les cendres de son père suicidé (Le syndrome du vélo d'appartement)...
De la fantaisie, aussi, lorsque les pièces d'échecs s'animent (Sa majesté fulgurante) ou que la petite fée entreprend le marchand de barbe-à-papa avec la candeur et l'obstination d'un personnage de Lewis Carroll.

La dernière nouvelle du recueil (Putain de cirque), d'un soldat à la retraite qui s'acharne sur un jeu des sept erreurs, superbe, grave et amusante à la fois, mériterait à elle seule la découverte de ce jeune auteur.

L'écriture alerte et fluide, s'attache au détail, joue de la métaphore, pour débusquer derrière le quotidien et le banal, d'une façon ludique mais sans compromis, l'essentiel.

Il y a ici de l'émotion, de la tendresse, parfois, mais surtout un brin de provocation et beaucoup d'humour. Tapis dans l'ombre, les non-dits, la solitude, la non communication et la souffrance se devinent mais se travestissent bien vite en pied-de-nez. Pudeur ou cynisme ?
L'ensemble est cohérent, surprenant, original et non sans qualités. Un bon moment de lecture et, derrière, un nouvelliste efficace qui vaut lecture.

Dominique Baillon-Lalande 
(01/08/12)    



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Editions Quadrature

(Avril 2012)
120 pages - 15 €













Arnaud Modat
est né à la fin des années 70, à la frontière du funk et du disco, mais à Douai. Artiste polymorphe non rentable, flegmatique, confus, égocentrique et sportif atypique, il vit aujourd'hui à Strasbourg. Il aime les échecs, marcher pieds nus sur le goudron chaud, distribuer des bouchons de vodka, le cheval d'arçon et Fanny. Il mourra probablement en 2054 (en février ou en juin, mais le huit), d'une intoxication au plomb, tout simplement. (Présentation de l'éditeur)