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Patrícia MELO

Monde perdu


Máiquel (comme Máiquel Jackson, l'artiste), ancien tueur à gages anciennement riche et adulé par ceux qui le payaient pour débarrasser les rues de la racaille, est devenu un "ennemi public" après un faux pas fatal. Depuis dix ans, sa tête est mise à prix. Anciens employeurs et police fédérale sont à ses trousses et lui, en cavale perpétuelle tente de se fondre dans la foule. « Au Brésil, il n'y a aucune honte à avoir un mandat d'arrêt contre soi. Que tu sois pauvre, riche, blanc, haut placé, c'est-à-dire ministre, conseiller municipal, grosse légume, tout le monde en a un. Les Brésiliens sont comme ça, de vrais salauds. C'est dans notre culture, voler, entuber. C'est comme être victime d'une agression, personne n'y échappe. Et il y en a tellement, des voleurs, des corrompus, des fils de pute, des assassins, des escrocs, des faussaires, qu'on n'arrive pas à mettre tout le monde en prison. Il n'y a pas assez de place. Alors on reste libre. Il suffit de ne pas se faire remarquer, d'être invisible. »

Lors de l'enterrement à Sao Paulo de la vieille tante Rosa qui constituait sa seule famille, plus solitaire que jamais, l'homme se met à repenser à son passé. Et en particulier à son ancienne copine Erica, qui est partie avec un pasteur évangéliste dix ans auparavant en emmenant sa fille. Aujourd’hui Máiquel est décidé à récupérer l'enfant et à se venger du kidnappeur. Grâce au pécule et à la maison légués par la tantine, il fait appel aux services d'un détective privé pour retrouver leur piste. C'est assez facile : la femme, aujourd'hui « évêquesse à Campo Grande, capitale du soja au Mato Grosso du Sud », a fait fortune sur le dos des pauvres qui fréquentent le temple où Marlénio, devenu son mari, officie. « J'éprouve du plaisir dans la souffrance, prêchait Erica. Dans la douleur. Bobards. Elle était pleine de pognon et soutirait du blé aux connards tout en leur parlant de la misère. (..) Donnez maintenant tout ce que vous avez, n'importe quoi. Argent, chaîne, bague, ce que vous voulez offrir. Montrez que ces choses n’ont pas d'importance, disait Erica. (...) J'ai vu des gens qui donnaient leurs lunettes. Après avoir éteint le magnétoscope, je me suis demandé si Erica croyait à ses bobards ou si Marlénio et elle, quand ils comptaient l'argent, ne se fendaient pas plutôt la gueule. ».
« Pour fonder une secte tout ce qu'il faut c'est du culot. Tu vas chez un notaire et tu deviens ministre. Et tu ne paies rien. C'est pour ça qu'aujourd'hui on trouve des églises pour tous les types de fidèles, hommes d'affaires, pédés, surfeurs. »
Faux père, fausse mère et enfant mènent donc aujourd'hui grand train en toute sécurité. Sur eux veille toute une organisation pilotée par une sorte d'archevêque, Otavio Freitas, richissime et puissant propriétaire d'une douzaine de temples.

L'ancien tueur à gages, usé par la vie, rongé par le dégoût de ce qui l'entoure, traînant la patte à l’image de Tigre, le cabot malade et laid qu’il a recueilli sur la route, entreprend alors d'un bout à l'autre du pays un périple agité pour retrouver l'enfant qu'il n'a pas vue grandir et la sortir des griffes de ces escrocs. Un voyage de villes en villes, téléguidé par les informations distantes de l'enquêteur privé. En route, il multiplie les rencontres improbables, accumule sans le vouloir vraiment les cadavres et les amours charnelles, doute parfois, arrive trop tard, souvent... Un voyage qui ne peut se terminer que par un échec de plus.
Quand il les retrouve et passe aux actes avec, enfin, la perspective d'un avenir peut-être meilleur, rien ne se déroulera comme prévu.
Ne lui restera alors que la cavale sans fin, encore, et la fidélité à la devise tatouée sur son bras droit : « Rien à foutre ».

Loin des clichés habituels, le Brésil que nous fait découvrir l'auteur est dur et en pleine déliquescence, gangrené par la misère, la violence et l'intérêt. Un monde en perdition avec des paysans sans terre, des abattoirs clandestins, une déforestation sauvage, des caïds du narco-trafic et des sectes qui mènent le jeu.
Partout, chez les religieux, les flics, les riches, les crève-la-faim, les trafiquants en tous genres, les femmes – comme Silvia qui le dévalise pour s'acheter une arme et tuer son père ou Eunice, l'amoureuse fantasque qui l'abandonne quand elle découvre dans le journal qu'il est recherché –, l'hypocrisie et la tricherie règnent en maître.
Mais, toujours les pauvres payent et les riches s’en sortent. « Nos riches sont toujours des salauds, voilà la vérité. Ils sont corrompus, voleurs, renifleurs de poudre. Et la drogue vit de ça, des gens pourris. Des connards comme nos politiques. De ces merdes qui ne pensent qu’à voler. Et nos pauvres sont tout aussi salauds. Eux aussi, ils volent. Et tuent. Sauf que, à la différence des riches, ils vont en prison. Mais ça prend du temps, car notre justice traîne. »

Dans ce récit, les gentils et les méchants, les esclaves et les maîtres, ne sont pas exactement là où on les croyait mais la violence, elle, est partout. L'écriture dense et rapide, les phrases courtes, le langage cru, les nombreux dialogues directs ou rapportés, créent une dynamique qui la porte et l'incarne.
L'atmosphère très noire, désespérée peut déranger, perturber mais le rythme et la forme du polar sont là pour accrocher le lecteur dès le premier paragraphe (très réussi) pour ne le lâcher que deux cents pages plus loin. L'univers et la réalité mis à nu dans les romans de Patricia Melo ressemblent à un enfer sans fond (Enfer était justement le titre d'un roman précédent présenté dans la revue Encres Vagabondes en 2004) et c'est précisément, semble-t-il, dans cette nuit-là, en contre-plan des plages ensoleillées du Brésil et de son carnaval coloré, que l'auteur semble vouloir nous entraîner de livre en livre.
Un roman fort, terrible, captivant.

Dominique Baillon-Lalande 
(23/08/09)    



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Editions Actes Sud

206 pages - 19 €




Traduit du portugais
(Brésil) par
Sébastien Roy








Patrícia Melo,
née à Rio de Janeiro en 1962, est l'auteur de cinq autres romans parus chez Albin Michel et Actes Sud.







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