Retour à l'accueil du site





Pierre MAUBÉ

Le dernier loup



Le dernier loup, qui se présente comme un recueil de « récits-poèmes », renoue avec la grande tradition du poème en prose telle que l’a illustrée le Baudelaire du Spleen de Paris. La diversité des textes qu’il rassemble, regroupés en différents chapitres, Terreau, Naufrages, Clairières, Aléas, Murmures, n’en altère pas l’unité profonde, celle d’une voix et d’une sensibilité qui ont atteint la plénitude de leur maturité.

Les textes de Pierre Maubé s’enracinent donc dans le terreau de l’Histoire, sous forme de récits fragmentaires qui, de l’Antiquité à notre époque, évoquent des destins obscurs ou célèbres pris dans la matière du passé. Ici, on évoque Jésus, Rimbaud, Hugo, Montaigne, le plus souvent sans les nommer, en laissant au lecteur le soin de les reconnaître par un biais toujours inattendu. On évoque aussi les habitants anonymes de ce village qui s’éveille, « quelque part entre l’an mil et mil huit cents », tandis que s’approche une troupe de mercenaires « avides de piller, de brûler, de tuer. » Cette épaisseur du passé qui nous a faits, Pierre Maubé nous la donne à sentir. Le regard qu’il jette sur elle, l’érudition maîtrisée dont il fait preuve, évoquent ceux d’une Marguerite Yourcenar, qu’il rejoint dans sa compassion pour les êtres les plus humbles, tels le bœuf et l’âne de la crèche : « Ils en avaient tant entendu des cris, abois et feulements, ordres, invectives, jurons, insultes précédant les coups, coups de bâton, de fouet, plaie sournoise de la branche épineuse qu’on enfonce derrière l’oreille et ensuite viennent les mouches qu’il est impossible de chasser. » Qu’il rejoint aussi dans sa nostalgie d’un monde où les enfants connaissaient encore « les talus, les fossés, les arbres au bord du chemin, les orties, les ronces, les fougères, les coquelicots. » Et l’auteur de L’œuvre au noir n’aurait-elle pu signer les lignes sur lesquelles s’achève la très belle évocation d’Aloysius Bertrand, qui « meurt vaincu, triomphant, ignorant tout de lui, de sa vie, de sa mort. Pareil en cela à n’importe lequel d’entre nous. » ?

A ce « terreau » de l’Histoire, le poète fait succéder les « naufrages » de sa propre vie, dans lesquels chacun peut reconnaître ceux qui ont affecté la sienne. Ainsi évoque-t-il des blessures inguérissables, la perte de la maison d’enfance ou celle d’un ami très cher. La mélancolie, l’« humeur noire » qui baigne ces textes s’exprime avec une pudeur qui les rend d’autant plus émouvants : « Certains s’habillent de noir. Moi le noir est dedans. Parfois il sort, il devient encre sur une feuille blanche. Vous dites que j’écris, mais c’est juste le noir qui sort. »

Pour autant, la tonalité du recueil n’est pas uniformément sombre. Clairières évoque la présence lumineuse de l’amour, et Aléas s’éclaire d’un humour tendre. On sent aussi, à la place qu’il leur accorde, que Pierre Maubé s’appuie sur la présence fraternelle de ses écrivains favoris, qui le fortifient de leur nourriture spirituelle. La dernière partie, Bribes, se présente d’ailleurs comme une brève anthologie de ses auteurs de chevet.

Avec ce Dernier loup, comme déjà avec Nulle part, Pierre Maubé atteint une profondeur où la poésie rejoint une méditation frémissante et grave, qui s’offre parfois la suprême élégance du sourire.

Sylvie Huguet 
(23/11/10)    



Retour
sommaire
Poésie











Éditions Bérénice

156 pages - 12 €












Découvrir sur notre site
un autre livre
du même auteur :
Nulle part