Retour à l'accueil | ||||||||
Charlie, gardien de nuit d'un bâtiment en ruine, traîne une vie qui
sent "le moche couleur moisi" dans un "immeuble cafardeux
comme un cercueil vertical". Mais tout a changé avec l'intrusion
dans son existence d'une belle Moscovite nommée Anna. Le jeune homme ne
cesse de rêver d'elle, suspendu à la tournée du facteur, il
se voit déjà en couple et en père de famille...
Mais "On était trop loin l'un de l'autre. La Russie c'était
pas la porte à côté. Il fallait que je la voie directement,
même s'il y avait la barrière des langues. On causerait vodka."
Sur ce terrain-là, Charlie est un champion. Quand son voisin Caïus, un copain jamais grandi, genre imbécile
heureux et gentil, fasciné par une publicité toute en couleurs
pour Disneyland, lui fait part de son désir d'aller là-bas voir
des princesses, Charlie ne laisse pas passer l'occasion. Le parc d'attraction
est justement sur la route de la Russie et la vieille camionnette de Caïus
devrait pouvoir faire l'affaire... Après avoir, de nuit, libéré de son vieux manège
"le cheval orange qui voulait voir le monde" pour l'emmener
avec eux, les deux comparses s'embarquent sur l'autoroute, fébriles et
le cur battant. La route est longue jusqu'à Disneyland, les arrêts
fréquents et les rencontres faciles. Nos deux naïfs croiseront ainsi
un auto-stoppeur photographe qui flashe plus vite que son ombre et chasse les
panneaux lumineux piratés par un plaisantin insaisissable qui depuis
une semaine transforme les instructions habituelles en messages codés
type "On les aura à l'usure", "Le paradis brûle",
"À votre gauche, une sirène sans camisole" ;
un patron de bar atypique et amoureux de formule 1 ; un représentant
sympathique qui tombe à pic quand leur bourse est à sec, pour
leur proposer d'effectuer pour lui la livraison d'un carton de bibles en Allemagne
contre une liasse de billets ; une actrice-caissière bien curieuse et
incontrôlable
Autant de personnages énigmatiques et inquiétants
qui pourraient bien transformer le voyage du duo de choc en grand-guignolesque
aventure sur fond de sirènes de flics. "Au milieu , il y avait comme un trou noir d'étoiles pulvérisées." Un road-movie de série B plein de rebondissements et de clins d'il
qui, sur un rythme endiablé et avec un humour décapant, nous ballade
dans un univers à la Pieds Nickelés. Aucun suspens ici, les donnes
sont claires dès le départ : leur aventure ne pourra que tourner
en catastrophe bien avant Moscou mais les deux protagonistes, êtres décalés,
gentils et attachants qui traversent la vie sans rien y comprendre, ne peuvent
que s'en sortir indemnes. Juste l'occasion pour le lecteur de s'amuser de leurs
improbables péripéties et pour l'auteur de se moquer de tout et
des autres, de jongler avec les clichés, les formules et les blagues,
pour provoquer le rire et l'émotion. Un joli feu d'artifice stylistique
aussi, qui ne se prend pas au sérieux. "J'ai allumé une
clope qui grelottait dans un coin de ma bouche. [...] J'ai enfoncé l'accélérateur
au maximum. Le vent reniflait les rétroviseurs comme un loup affamé.
De nouveaux cliquetis se sont fait entendre, mais je n'ai pas ralenti. [...]
Les essuie-glaces ont agité leurs bras en signe de désespoir.
Les phares ont éclairé le vide de la route." Une comédie déjantée, vive, talentueuse et pleine de
tendresse, à prendre comme une cure de bonne humeur. Un jeune auteur
(c'est là son deuxième roman) à suivre assurément.
L'occasion aussi de découvrir, pour ceux qui ne la connaîtraient
pas, cette petite maison d'édition de Lorraine créée en
1998 qui, avec près de quatre-vingts titres à son catalogue, s'affirme
avec constance dans le champ de la poésie et de la littérature
contemporaine de qualité. Un éditeur soucieux également
de la beauté de l'écrin qu'il fournit aux textes qu'il choisit
de publier. Une maison de passionnés à soutenir. Dominique Baillon-Lalande |
Sommaire Lectures Éditions La Dragonne (Octobre 2011) 132 pages - 16 €
|
||||||