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Isabelle MARSAY


Pâques
La complainte d'une île



Tao est un jeune Maori courageux qui vit sur l'île de Pâques. « Il appartenait à une lignée de pêcheurs et ses lointains ancêtres avaient construit de gigantesques pirogues, au temps où l'île était boisée ; un poisson aux ailes d'oiseau ornait son torse, son dos étant quant à lui tatoué d'un oiseau pourvu d'une queue de poisson. »
La vie est dure pour lui, sa famille et les siens. La terre desséchée ne produit plus de quoi nourrir les hommes qui en sont prisonniers, la pluie est rare, le peuple de l'ouest sous la gouvernance du cruel Tohu s'est emparé des quelques pirogues encore capables de naviguer laissant, au mieux le peuple de l'est mourir de faim quand, par ennui, il ne le massacre pas. « Les hommes de Tohu se repaissaient de la chair des vaincus, des récoltes et des poulets qu'ils s'arrogeaient en saccageant les abris protégés. Leurs cheveux étaient teints en rouge, leurs corps barbouillés de noir et leurs yeux brillaient. »
Tohu accuse les ancêtres et les prêtres d'avoir détruit les forêts et désertifié l'île pour le transport des "moaï", ces titans de pierre, « dotées d'immenses têtes aux yeux aveugles, aux bouches muettes, des centaines de statues (...) taillées à même la paroi du volcan pour être transportées sur les terres du haut. Visible de la mer mais tournée vers l'intérieur des terres, chaque statue incarnait l'esprit d'un ancêtre divinisé, censé veiller sur ses descendants depuis le royaume des morts. » Auparavant, sur cette île luxuriante comme ses sœurs du pacifique, « s'élevaient de hauts palmiers entre les cratères des trois volcans qui recueillaient l'eau de pluie » et les habitants, heureux, y vivaient en harmonie.
A l'heure du récit, au dix-septième siècle, ne demeurent plus sur le petit territoire dévasté que la famine et la violence.

Quand, de rage et de désespoir, Tohu renverse les dieux sculptés et capture le grand prêtre, Tao, follement, lui propose un marché. « Redoutable guerrier, si tu me laisses un peu de temps, si tu épargnes nos maigres récoltes et surtout notre sang, je te construirai un bateau solide. Comme notre tout premier roi, tu pourras gagner d'autres rives en observant les étoiles et le vol des oiseaux. Ici, face à nos ancêtres, face à tes hommes et face à tes guerriers, je te le promets : les peuples de l'est construiront une embarcation qui te permettra de gagner les terres des Grands Ancêtres. J'y veillerai et verserai ici même mon propre sang si cette promesse n'est pas tenue. »
Tohu, amusé par l'audace et la promesse irréaliste du jeune homme, lui donnera le temps de trois lunes révolues pour tenir son engagement au risque de « faire craquer sous ses dents la chair » des siens et de son clan.

C'est cette aventure collective des peuplades de l'est pour éloigner le fou sanguinaire qui les réduit en esclavage et rejette leur culture commune et réaliser ce pari quasi impossible de construire une grande embarcation en bois dans une île où tout arbre est absent, qu'Isabelle Marsay va à partir de cet instant nous raconter.

Ce récit s'apparente, plus qu'à proprement parler au roman, au conte philosophique et écologique. Très documenté et ancré dans un contexte historique donné, il interroge notre conscience sur le rapport entre le développement des civilisations et la préservation de l'écosystème. Il nous confronte au mystère de cette île mythique, joue avec la fascination qu'exercent sur nous sa rangée impressionnante de guetteurs de pierre et la disparition brutale et inexpliquée de certaines civilisations.
Cette fable évoque fortement le poids des croyances, les guerres tribales mais aussi le courage individuel et la nécessité de garder espoir et de résister, ensemble, au pire.
C'est en fait au cœur de l'imaginaire et du symbole que l'auteur nous invite ici. Le voyage est inattendu, riche, porteur de sens. Et si l'angoisse y transpire en permanence, le personnage de Tao, héros pacifiste et généreux, parvient à nous faire rêver comme ont pu le faire certaines figures des romans d'aventure de notre enfance.

Isabelle Marsay, qui avait déjà exploité de façon originale la veine historique avec Le fils de Jean-Jacques édité chez Balland en 2002, confirme ici son goût et son aptitude à s'appuyer sur le passé pour le transcender et dire autrement le monde d'aujourd'hui en semant ça et là ses propres questions existentielles.

Un livre surprenant et hors des sentiers battus qui parvient sans peine à nous embarquer vers l'ailleurs du conte et du mythe avec l'étrange sentiment que cet univers-là pourrait, en fin de compte, nous être moins étranger qu'il peut le paraître a priori.

Dominique Baillon-Lalande 
(01/08/09)    



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Editions Myriapode

164 pages - 16 €







Isabelle Marsay