Virginie LOU

Allegro Furioso



Aurélie, photographe au service d’archéologues lors de leurs fouilles, vit avec son fils Arno en Arles. Divorcée, sa relation avec ce fils unique peut être caractérisée de fusionnelle.

« Arno, sa vie, les étapes de sa vie, ses projets, ses peurs, ses affections, avaient comblé ses jours. [...] Entre son fils et ses photos, son labo et l'école, ses expos et le collège, ses plongées en eaux trouble avec les archéologues et le lycée, elle avait raté le train du monde et n'en finissait plus de s'étonner. »

Le gamin devenu adulte, prêt à partir vivre sa vie ailleurs, sans elle, a réussi le concours d'entrée dans la classe de violon d'un grand maître au Canada. La séparation est programmée pour la semaine suivante.

« Sans doute avait-elle fait des erreurs, répété des erreurs puisqu'il la fuyait bien plus loin qu'elle-même n'avait fui ses parents, puisqu'il mettait entre elle et lui, pour simplement satisfaire son besoin de respirer, six mille cinq cents kilomètres d'air – aeris magnum mare – disait Lucrèce, le vaste océan de l'air ! [...] Sans doute avait-elle répété des erreurs puisqu'au lieu de le pousser vers une carrière scientifique ou commerciale, vers un de ces emplois dont il semble que le monde contemporain n'ait jamais assez, comme si toutes les activités humaines se résumaient désormais à deux, la technologie et le commerce, sans doute avait-elle sourdement inculqué à Arno sa propre circonspection devant les sciences et son dégoût du mercantilisme, puisqu'il avait comploté de réussir ce concours d'entrée dans la classe de violon du Maestro, à Toronto. De sorte qu'elle avait tout faux, elle l'avait perdu de toutes les manières possibles. »
« Et Arno de toute façon allait partir maintenant... Disparu chez eux. Comment dirait-elle ? Chez moi ?... Où trouverait-elle la force de dire chez moi ?... Plus jamais main dans la main, l'Arno enfant et l'Aurélie maman. »

La mère essaye de cacher le pincement au cœur, le chagrin illégitime et abusif qui l'étreint et le décompte commence. Tout défile dans sa tête : l’enfantement, les premiers pas et premières découvertes, leur symbiose affective et intellectuelle d'aujourd'hui, son bonheur à elle de le voir grandir. Le tourment d'Aurélie n'échappe pas au fils chéri qui, quelques jours avant ce départ tant redouté, entraîne “la petite maman” à Marseille sous prétexte d'acheter des malles. Le temps est au beau fixe et l'escapade se poursuit jusqu'à San Remo, histoire de prendre un bol d'air italien. Quand, il propose de pousser jusqu'à Rome sa mère saisit au bond cette opportunité d'une ultime complicité avec son fils.

Mais la Ville éternelle est dans tous ses états : un sommet rassemble les dirigeants des pays riches et dans les rues, des manifestations altermondialistes font rage. La foule des manifestants entraîne mère et fils dans son tourbillon.
« L'air brûlait les poumons, d'instinct il fallait courir comme les bêtes alertées par l'odeur de l'incendie, tout le monde courait, des coups de feu éclataient à droite, à gauche, derrière eux, Arno tenait fermement Aurelie par le bras, elle a trébuché, il l'a tirée pour l'aider à retrouver son équilibre, une brute a foncé sur eux. La main d'Arno arrachée au bras d'Aurélie, elle avait encore dans la peau la pression des doigts, mais il n'était plus là, elle ne le voyait plus, ne voyait plus, la fumée, impossible de résister au torrent des corps il fallait courir, elle a crié Arno ! Arno ! »
Comme à Gênes, la police charge sans ménagement, on assiste à des arrestations en masse. Lorsque Aurélie, assommée d'un coup de matraque, reprend conscience dans la rue déserte et sens dessus dessous, Arno a disparu. Hébétée, paniquée, elle fouille l'hôpital, demande à tout va des nouvelles, erre à travers la ville pour retrouver ce fils étranger à l'idée même de violence qu'elle a constamment protégé des horreurs du monde.
« Elle avait même cru, instruite par l'expérience, dissimuler ses angoisses à Arno, lui offrir une surface lisse, humeur égale, gaieté tranquille. [...] Elle avait cru étouffer les diables obscurs en rabotant les aspérités de l'existence... Et si elle avait fait fausse route, complètement ? Si au contraire elle l'avait rendu inapte à se défendre ? [...] Et elle le revoyait maintenant sans défense, dans les situations d'affrontement, sans défense toujours... immobile et muet... »
Julia, une infirmière humaniste dont le propre fils a basculé, il y a quelques années, dans la folie, touchée par la douleur de cette autre mère, va l’aider à sortir des mailles des contrôles hospitaliers et l'épauler dans ses recherches.
Quand elle le retrouve enfin arrêté, suspecté et interrogé comme tant d'autres par les carabiniers, ce ne sera plus le même Arno. On lui a cassé trois doigts de la main gauche brisant ainsi sa carrière naissante de musicien, tuant sa foi innocente dans un monde démocratique et provoquant une rage immense.

Virginie Lou commence son roman juste après le drame et remonte dans le temps avec un tempo musical adapté à la situation. Au fil des pages, sa musique change de tonalité, s'emballe et le roman monte en puissance. A partir de la répétition du prénom d'Arno, de l'usage fréquent des appositions, d'une ponctuation abondante, d'adjectifs pris dans une respiration haletante, de phrases en suspens, s'opère une accélération désordonnée semblable à celle incompréhensible des événements et à l'angoisse irrépressible qui envahit ce personnage de mère blessée.
Mais ici la partition émouvante sur l'amour maternel se mâtine de critique sociale et dans ce roman court mais brûlant l'histoire fait écho à la douleur intime.

Cette histoire de violence et d'amour, d'une proximité troublante comme un reflet dans le miroir, trop incarnée pour ne pas déstabiliser, émeut et fascine. Une grande réussite.

Dominique Baillon-Lalande 
(28/07/08)    



Retour
Sommaire
Lectures









Editions Joëlle Losfeld

104 pages - 10,90 €








Vous pouvez lire
sur notre site
un article concernant
un autre livre
du même auteur :


Guerres froides