La Poésie et le Marché sont dans un bateau.
Si la Poésie tombe à l'eau...
Qu'est-ce qui reste ?


Le marché de la Poésie m'a longtemps ravi car depuis des années j'y faisais emplette des nécessaires messages d'auteurs originaux, d'écrivains variés, de troubadours, de trouvères, de bardes rimeurs et autres nourrissons du Parnasse. Fin juin, je me dirigeais toujours avec joie vers la place Saint Sulpice et, dans ses boutiques en bois, je passais des après-midi de primesautières flanocheries, épanouissantes pour l'ego. J'en revenais le soir avec une pleine besace d'écrits, quasiment optimiste sur l'avenir de la planète. Sur ce marché, forain à plus d'un titre, on pouvait presque entendre ces propos... si l'on avait l'oreille fine :

"Bonjour. Donnez-moi huit alexandrins bien riches en rimes féminines, trois sous d'imaginaire rimbaldien et une bonne dose d'émotion en vers libres... Ne me faites pas de paquet... c'est pour utiliser de suite".
"Bonjour. Je fais une commission pour ma voisine... une cul-de-jatte à l'ancienne qui n'a pas pu venir car elle s'accommode mal de la circulation automobile actuelle... Auriez-vous encore un exemplaire de
La Négresse Blonde de George Fourest publié chez José Corti ?"
"Bonjour. Puis-je lire une fable instantanément ? Puis-je la lire à haute voix ?"
"Bonjour. Avez-vous des métaphores de transcendance ? J'en veux trois".

J'ouvrais parfois des portes improbables, des quasiment surréalistes. J'y ai également fait des rencontres étonnantes, de celles qui vous récompensent de marcher sans but dans les allées chaudes sous les yeux sévères de Fénelon et Bossuet, lesquels écrivaient à la plume d'oie des homélies sans y inclure de contrepèteries. Et, si j'évoque ces moments rares où l'anthologie poétique se cuisinait quasiment sur place, c'est que, d'une part, j'y ai vu fleurir des revues littéraires ouvrant leurs colonnes aux plumitifs débutants et décoller de petits éditeurs dont le talent compensait souvent le manque de moyens. Mais, c'est aussi parce que le marché de la Poésie, initialement consacré à l'origine aux poètes ainsi qu'à leurs supports, a progressivement laissé beaucoup de place au marché tout court.

Maintenant, les grands publicants publicateurs publicitaires occupent sans état d'âme une partie de l'espace saint sulpicien que les petits éditeurs paient toujours avec beaucoup de difficulté. Ainsi, sont menacés dans leur existence et leur expression les traîne-patins du stylo à billes et les sans grade du traitement de texte. Ainsi, trop d'entrepreneurs de l'écrit ont disparu sans laisser plus de trace que ma plume dans l'encrier renversé. C'est pour cela qu'un jour le marché de la Poésie risque de devoir changer son nom pour devenir le super-marché des best sellers promotion assurée en vingt langues et présentation par effet de masse, comme des barils de lessive. Je tire donc mon chapeau à ceux qui, tel l'éditeur LE BRUIT DES AUTRES, persévèrent en mêlant talent et courage.

Parmi ces obstinés de la création, il faut en saluer une qui cette année fait particulièrement honneur à la profession, c'est May et Valérie Livory qui animent les éditions BARDE LA LEZARDE. Elle viennent de créér une collection de CD Livres qui feront l'objet d'une édition en ligne mais qui sont également édités sur papier. Cousues et collées à la main, leurs "pastilles" se veulent poésies accompagnées par des images et des collages à la Prévert. La pastille est "phonème en refrain, pilule de poésie minuscule, poème en rond qui commence et finit par le même", expliquent-elles.

Mais puisque je vous sens impatients d'avoir une définition, cartésiens que vous êtes, je dirai que le CD Livre occupe un espace artistique et poétique tout à fait novateur aux confins du livre d'Art et du haïku japonais. Le premier nous offre de magnifiques représentations d'œuvres rares, mais il est souvent cher. Le second, poème japonais de 17 syllabes, se veut fantaisie en trois vers qui en dit long en faisant court. Entre les deux, il y a maintenant ces délicieux petits livres vendus modiquement 15 euros formés d'une douzaine de pochettes-pages cousues en tête, où sont glissés textes et images. La première fait couverture et la dernière colle au fond.

Ces œuvres originales que les chalands du marché ont achetées spontanément ont été remarquées par l'émission Poésie de FR 3 et cela fonde mon espoir que Saint-Sulpice reste la place privilégiée des créations poétiques et des textes inspirés.

Claude Chanaud 



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